10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 16:00

 

La charité représentait peut être un acte paternaliste de la part des classes nanties qui se donnaient ainsi bonne conscience. Mais à défaut d'action sociale développée, il était heureux de pouvoir y avoir recours pour parer aux carences et aux lenteurs de l'action publique, ce sera là le cœur de la controverse entre la société des Œuvres de Mer et les politiciens d'idéal laïque au début du XXème siècle. Cependant les associations laïques et même anticléricales comme les « Bleus des Côtes du Nord » se lançaient aussi dans des œuvres de bienfaisance.

 

Il faut se garder de juger le comportement des gens de cette époque avec nôtre idéal actuel d'une société sociale, et encore que l'État providence que nous connaissons n'est pas toujours à l'abri des critiques.

Le principal inconvénient des actes de charité était qu'ils étaient surtout déclenchés par des émotions fortes facilement provoqués par les naufrages d'Islandais que le maître Pierre Loti avait propulsés sur le devant de la scène. On conçoit la tentation du misérabilisme pour attendrir les cœurs et délier les bourses.

 

Les émouvants récits de « Pêcheurs d'Islande » ont éveillé une invincible et légitime sympathie pour nos marins, sympathie, qui, par une naturelle association d'idées, après I'admiration qu'elle a fait naître, met au cœur de ceux qui l'éprouvent le désir de protéger et de défendre. L'opinion publique, intéressée par l'œuvre de Loti à notre industrie, n'a retenu que les tristes combats pour la vie, avec leurs trop nombreux cortèges de deuils et de misères, et, comme si ce n'était pas assez de poignantes réalités, elle en a souvent augmenté les sombres visions.

Francisque Gicquel 1893

 

Pour atténuer les inconvénients du caractère épisodique des dons, alors que certaines années des sinistres moins spectaculaires ou moins groupés passaient inaperçus du public, il a fallu créer des caisses de secours permanentes pour garder les excédents des années plus productives et répartir sur toutes les catégories de marins. Car n'oublions pas que la statistique de mortalité compte en France entre 1887 et 1891 à côté de 150 morts en grande pêche, 253 en petite pêche, 55 au bornage, 131 au cabotage, 244 au long cours.

 

Les secours que la Société envoie ont, sur ceux qui proviennent d'initiatives particulières, cette supériorité très grande d'être toujours égaux pour des infortunes égales, et de n'exciter aucun sentiment de jalousie entre les familles que le malheur a frappées.

Pierre Loti 1887

 

La première catastrophe islandaise à émouvoir l'opinion semble celle de 1873. Celle de 1870 semble être passée inaperçue par suite de la guerre franco-prussienne. Le retentissement n'a cependant été que départemental. C'est le préfet des Côtes du Nord et les personnalités du département qui ont dirigé une souscription publique qui a rapporté 9836 francs ( 90 disparus ).

La seconde eut lieu en 1887, un an après la parution de « Pêcheurs d'Islande », c'est la souscription Loti par l'intermédiaire du Figaro, à l'occasion du naufrage de la Petite Jeanne qu'il comparait à la Léopoldine de son roman et de la Catherine. Ce fut évidemment un plein succès avec 28.055 francs ( 48 ayant droit ).

 

C'est alors que j'ai mieux compris l'espèce de protestation courtoise que m'avaient envoyée les armateurs de Paimpol dès le début de la souscription du Figaro ; ils s'étaient effrayés presque de voir l’argent arriver si vite aux veuves de la Petite Jeanne, quand d'autres femmes du même pays, demeurant porte à porte avec elles, ayant eu le même malheur dans d'autres naufrages, allaient rester dans une détresse profonde. Ils m'avaient prié instamment de demander aux donateurs la permission de verser ces fonds à la Société De Courcy, et j'avais été sur le point de le faire.

 

Les armateurs avaient eux-mêmes organisé une fête de charité :

Tandis que I'Angleterre se prépare à fêter les heureux de ce monde, dans ce petit coin de notre chère Bretagne on organise la fête des pauvres

 

La " fête des pauvres " laisse rêveur :

Une fête splendide aura lieu et durera trois jours… dans le splendide château de M. Savin, propriété sans pareille en Bretagne, aura lieu la réunion. Des cafés, un bazar tenu par les dames de Paimpol, si charitables et si avenantes, seront établis sous les beaux arbres du jardin… Concert vocal et instrumental, tir, chevaux de bois, tombola, promenades à ânes dans le parc, distribution de bibelots aux invités ; telles seront les attractions de la fête.

On parle aussi d'un magicien qui parcourra Paimpol sur un char à quatre chevaux, accompagné de la musique et suivi de frères quêteurs. Ce magicien débitera une panacée universelle et dira la bonne aventure aux filles à marier, aux neveux d'oncles riches et aux veuves qui ont assez pleuré.

 

Avis aux veuves d'Islande !  Mais au fond est-ce tellement plus indécent que l'exposition de caricatures montée dans le même but par Armand Dayot :

 

La souscription Loti, la Fête de Charité de Paimpol, l'Exposition de la Caricature, rencontrèrent chacun dans sa sphère un succès inespéré.

… Mais parmi ces plaisirs, il en est un qui ne figurera pas au programme, et que nous pouvons ici promettre à nos visiteurs ; le meilleur, le plus pur, celui qu'on goûte en pratiquant la Charité.

La souscription ouverte en 1895 par le commissaire Jarret après la disparition de la Caroline ne semble pas avoir fait grand bruit. En effet il s'adressait seulement au Journal de Paimpol et les sociétés de secours de Paimpol et des Côtes du Nord étaient en pleine activité .

 

En 1910 lors de la disparition du Glaneur de Dahouët et de l'Hygie de Paimpol une kermesse proposée d'abord à la Croix des Veuves (!!!) fut organisée dans le jardin de la nouvelle mairie.

C'est une manifestation de charité mais qui doit également profiter au commerce paimpolais. Les commerçants de notre ville voudront bien le reconnaître ; il est probable qu'il sera fait chez eux une quête.

 

La droite catholique ( Le Moniteur, L'Indépendance bretonne ) organisa une tournée de concerts Botrel dans le département et la gauche ( les Bleus de Bretagne ) pour ne pas être en reste, une tombola avec des œuvres d'artistes.

 

J.G.

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