14 avril 2022 4 14 /04 /avril /2022 09:38

 

Il n'y avait pas que des équipages d'ivrognes et abrutis de voiliers français à se planter en Islande ! Il y en avait peut-être pour tout le monde.

" Les sinistres survenus en Islande étaient en grande partie attribuables alors à l'incapacité de certains capitaines, à l'indiscipline de certains équipages, aux défectuosités de l'armement plus qu'à l'influence du temps et aux perturbations atmosphériques "

Administrateur général Bronkhorst 1923

 

" La destinée des équipages islandais ne relevait pas de la fortune de mer ou d'autres concepts aussi opaques qu'une brume d'Islande "

François Chappé 1990

Les réflexions de Bronkhorst ne sont pas la suite d'observations personnelles mais résultent de ses lectures de rapports d'officiers de la Station d'Islande en général plus portés à la critique qu'à la bienveillance.

Apparemment on rencontre chez eux plus de compréhension pour les difficultés de l'état-major des navires officiels que pour celui des navires pêcheurs. C'est sans doute dans l'ordre des choses mais pour être juste il conviendrait peut-être de parler de tout le monde !

Les navires des œuvres caritatives.

Le bilan de trois années des deux navires de Œuvres de Mer est cependant hallucinant.

Le Saint Pierre, navire d'assistance, lancé le 16 mars 1896 part pour le Banc de Terre-Neuve le 20 avril de Saint Malo.

" Le 30 mai 1896, alors que la route calculée mettait le bâtiment à 60 milles au large, une secousse épouvantable vint brutalement réveiller l'équipage vers une heure du matin. L'obscurité était si profonde que, croyant à la rencontre d'un iceberg, les hommes de quart au moment du choc criaient 'les glaces, les glaces'

Tout le monde sur le pont en un instant et, à la faveur d'une légère éclaircie, on distingue vaguement une masse gigantesque ! La terre ! Une falaise de 150 mètres de hauteur, impossible à escalader "

Amiral Darrieus

Tellement impossible à escalader qu'en abandonnant les doris de sauvetage il faudra braquer un révolver sous le nez d'un patron de schooner américain éberlué qui passait par là pour le décider à transporter les naufragés du cap Sainte Marie à Placentia sur la côte de Terre-Neuve.

" Près d'un siècle plus tard, on ne peut que constater l'énorme erreur d'estime qui a causé le naufrage, sur une côte pourtant parfaitement accore. Mais il faut aussi rappeler que la brume était épaisse, les moyens de navigation, compas, loch, montres rudimentaires et qu'il est exact que les courants, au Sud de Terre-Neuve varient beaucoup autour des prévisions des cartes ou des annuaires "

Amiral Darrieus

On peut penser que concept ou non la brume était aussi compacte pour les capitaines de navires de pêche et les instruments d'époque aussi peu performants. Comme le Saint Pierre était bien assuré il fut possible aux Œuvres de lancer dès 1897 un Saint Pierre II pour Terre-Neuve et un Saint Paul pour Islande.

 

Saint Pierre II

Saint Pierre II

 

Le Saint Pierre II lancé le 18 mars appareille le 30 avril mais dès le 23 mai il aborde et coule le voilier Anatole dont il recueille l'équipage, probablement compté dans les 43 naufragés qu'il sauve cette année-là. En 1900 c'est le Saint Pierre qui se fait aborder,

 " L 'abordeur s'appelle le Némésis, cela ne s'invente pas ! "

Amiral Darrieus

 

Et du côté Islande cela ne va pas mieux

 

Lancé le 30 janvier 1897 le Saint Paul appareille le 9 avril mais dès le 2 mai il fait côte dans le port de Reykjawik en ayant chassé sur ses ancres. Il pourra quand même être récupéré grâce aux efforts du stationnaire français la Manche et danois Heimdal et rentrer à Saint-Malo le 14 août. C'est sans doute la faute à pas-de-chance !

Mais voyez dans " l'Union Libérale " la protestation d'un " ancien du Cap Fréhel " qui souligne que tout le monde à bord est parti dormir après avoir descendu la deuxième ancre et laissant le navire sans surveillance. On peut supposer que le vieux capitaine est mort d'apoplexie en 1899 en apprenant que le Saint Paul le 4 avril de cette année avait lui aussi " saillé la montagne " près du cap Portland.

" C'est le 4 avril, vers neuf heures du matin, alors qu'on revenait parallèlement à la côte, pour être prêts à agir dès que le jour paraîtrait, que le navire qui devait être après tous les calculs, à treize milles de toute terre, talonna sur des rochers. On manœuvra avec activité pour reprendre le large, mais la mer grossissant toujours, on ne pût y parvenir, et le navire fut poussé de plus en plus en avant dans les récifs "

Journal de Gravelines

" Le scénario ressemble à celui de 1896, erreur d'estime due principalement à la connaissance insuffisante des courants et probablement aussi à la déviation du compas due aux roches magnétiques d'Islande "

Amiral Darrieus

Mais par protection divine, l'équipage est sain et sauf, ne subissant que l'écorchure des fesses provoquée par 400 kilomètres en huit jours à dos de cheval pour rentrer à Reykjavik, scénario bien connu des pêcheurs qui s'échouent en côte Sud-Est.

D'après Louis Lacroix ( Les derniers voiliers morutiers ) le capitaine fut acquitté à l'unanimité par la Commission Nationale et même félicité pour sa bonne conduite au cours du naufrage.

" L'enquête faite dans les mois postérieurs au sinistre ayant montré que beaucoup d'épaves jalonnaient ces parages et que toutes les pertes devaient être attribuées aux déviations extraordinaires et inattendues causées par les roches magnétiques noyées "

Sans doute mais les officiers enquêteurs sur le coup semblaient pourtant moins enthousiastes pour le capitaine :

" La commission croit aussi faire remarquer le manque absolu de point bien précis depuis le 2 avril à 8 heures du matin, quoiqu'on ait pendant deux jours, navigué en vue des terres.

Comme conclusion la commission émet l'avis que le sinistre du Saint Paul peut être attribué à une navigation trop indécise et parfois imprudente "

Fait à Reykjawik le ler mai 1899

Les membres de la commission Boyer, Thiébaut, Baslé

Brest 5 C38

et combien nos instructions nautiques dont le Saint Paul était muni ont raison d'appeler l'attention sur les difficultés qu'on y rencontre. Je me demande si le capitaine du Saint Paul a justement apprécié ces dangers en réglant la route de son navire sur un seul relèvement "

A bord à Reykjawik le 1er mai 1899 le capitaine de frégate Pivet commandant la Manche

Brest 5 C38

Et même si l'on croit l'abbé Gicquello (Pour nos Marins 1899) la carrière de ce navire hôpital aurait encore pu être plus brève et se terminer à la campagne de 1898 dans le " Trou " de Reykjaness, sans l'intervention du lieutenant Yves Collin, pêcheur islandais de 18 campagnes " excellent et intrépide marin ".

Le sérieux et la crédibilité des Œuvres de Mer n'ont pas à être mises en cause pas plus que la compétence et la sobriété de ses capitaines, mais il serait abusif de refuser la même compréhension aux capitaines pêcheurs.

" qui est à la mer navigue " proverbe marin

" La très grande partie des naufrages sont dus à des événements de force majeure et dégagent complètement la responsabilité des capitaines ou patrons qui en sont les victimes "

Capitaine armateur Hamonet

La balle dans le camp laïque

La société laïque concurrente des Œuvres catholiques, la Société des Hôpitaux d'Islande français, quoique utilisant un navire motorisé le " France " a eu aussi des problèmes importants, dus non seulement à la non adaptation du navire au gros temps à cause de l'importance de ses superstructures mais aussi à des erreurs de navigation. Ces erreurs si l'on en croit un brouillon de lettre du commandant du stationnaire (Actes d'indiscipline à bord du navire ambulance 1912 chemise Vd VI n°1) seraient dus à un mauvais choix d'équipage imposé par la Société.

L'exemple de l'État-Major est suivi par l'équipage qui a la plus mauvaise tenue.

Le 16 avril 1909 le vapeur ambulance, pendant que le capitaine était descendu pour satisfaire un besoin pressant, heurte une goélette, non nommée dans le rapport, et qu'il doit remorquer à Reykjawik.

" Vers une heure du matin je fus surpris d'un besoin qui me mettait dans l'obligation de sacrifier quelques minutes, je donnais la confiance à l'homme de barre, lui recommandant de bien veiller pendant mon absence, après avoir regardé tout autour de l'horizon. En remontant sur la passerelle, je vis tout à coup une goélette à quelques mètres à tribord courant bâbord amures. "

En mars 1911 c'est le tour de l'Ernestine de Dunkerque à être abordée et remorquée à Seydisfjord.

 

Il faut reconnaître que le France joua à côté de cela un rôle très positif en déséchouant et remorquant des goélettes de pêche (non abordées). Le navire d'assistance motorisé était certainement mieux adapté à son rôle que le voilier mais malheureusement les besoins diminuaient car les effectifs des pêcheurs baissaient à Islande très rapidement. Et il avait été dit depuis longtemps que l'assistance la plus efficace se ferait non sur les navires hôpitaux mais dans des hôpitaux à terre.

La catastrophe du Pourquoi Pas.

Personne n'a osé mettre en doute la compétence du commandant Charcot et de l'équipage du Pourquoi Pas jeté à la côte à Borgarfiord dans le Faxe à la suite d'une tempête de Sud-Ouest en 1937. A la suite d'une panne de moteur les voiles carrées du trois mâts n'ont pas pu lui permettre de remonter au vent et se relever de la côte d'Islande. Il y eut un seul survivant.

Les chalutiers à vapeur

Certaines côtes comme le Sud-Est ont été de bonne heure marquées par des naufrages de chalutiers, théoriquement plus sûrs que les voiliers.

" Les épaves d'un vapeur allemand perdu en 1898 et d'un vapeur anglais perdu en février 1899 prouvent combien les craintes que cette côte inspire aux navigateurs sont fondées... "

Commandant Pivet 1899

En 1902 même, suivant le consul de France à Brême, la saison de pêche fut terrible pour les chalutiers allemands (archives Brest 5 C41 DMCA).

" J'ai déjà eu l'occasion de signaler les pertes subies l'hiver dernier par les compagnies de pêche du Weser fréquentant les parages d'Islande, six à sept vapeurs de pêche et une soixantaine d'hommes ont disparu.

Ces sinistres se sont tous produits par un temps de tempête et dans une mer déchaînée. On a depuis lors beaucoup discuté dans le monde maritime les causes de ces désastres en se demandant s'ils étaient dus à l'incapacité professionnelle des capitaines ou à l'insuffisance de construction des bateaux, jusque-là réputés comme pouvant affronter toutes les mers. "

Voilà qui rappelle quelque chose lu autre part !

Et les navires de surveillance de l'État ?

Bien sûr depuis la disparition du brick la Lilloise en 1833 la Marine nationale française n'a pas subi de perte totale en Islande, il est plus difficile de perdre un croiseur qu'un brick. Mais il y a eu des coups durs sur les navires de l'État pour lesquels il n'était fait aucune publicité.

En 1904 selon le rapport du commandant Lefèvre le navire stationnaire la Manche perdit son hélice le 9 juin pendant la visite de la Favorite de Dunkerque. Il y eu un certain émoi à bord à cause " d'une voie d'eau due à une erreur de mouvement de robinets provoquée sans aucun doute par l'émotion du premier accident. "  Heureusement la Manche pût se faire remorquer par la Minerva. Mais ce fut la fin de sa campagne et même sa dernière campagne à Islande car l'année suivante la Manche était remplacée par le Lavoisier.

Le stationnaire anglais lui aussi préférait la discrétion

" J'ai appris par l'agent consulaire M Zimsen que la Bellona s'est fait une déchirure importante en allant dans la baie de Hvalfiord. Elle a en place un paillet dont on voit les faux bras et elle a réparé l'avarie avec du ciment. Les officiers de ce croiseur n'en parlent pas et désirent que cet accident ne soit pas connu. "

Commandant De Kergrohen 1902

On comprend. 

 

J.G.

 

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