4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 13:17

Un quintuple naufrage

 

Dans la nuit du vendredi au samedi 6 avril 1901, un quintuple naufrage endeuillait le littoral de la baie de Saint Brieuc. En première pêche devant la côte Sud d'Islande, dangereuse en raison du manque de ports-refuges en cas de mauvais temps, une violente et subite tempête venant de terre surprenait Brune et le Pilote de Paimpol, Maria de Binic, Capelan et Saint Michel de Dahouët. En raison de l'obscurité, les nuits de printemps sont encore très longues sous cette latitude, personne ne s'aperçut aussitôt de leur disparition dans le rassemblement de pêche, d'autant plus qu'un certain nombre de goélettes avaient dérivé au large à la cape et avaient quit la flottille.

Ce n'est qu'à la mi-mai, quand leur absence au rendez vous avec leurs chasseurs devint évidente, que l'on commença à s'inquiéter, et pour la Maria de Binic l'inquiétude fut encore plus tardive, elle n'avait pas de chasseur et le capitaine Pomies était un vieux briscard, surnommé le "coq d'Islande" à cause de ses résultats et de sa connaissance profonde de la côte.

 

 

Le départ des goélettes

 

La mise sur rade (sortie du bassin à flot) des Paimpolais avait été effectuée le dimanche 17 février et le départ en haute mer les 20 et 21 :

 

Dans des gabarres et des canots, tous les pécheurs, après un dernier adieu à la femme et aux enfants, une dernière goutte rapidement avalée à l'auberge, gagnent les goélettes qui sont à l'ancre dans la rade.

Sur toute la longueur de côtes environnantes sur les rochers et les falaises, toute la population de Paimpol s'était portée pour donner "l’à Dieu va" à ceux qui s'en vont.

Alors de tous côtés, les mouchoirs s'agitentpendant qu'on entend au large résonner les accents de l’ "Ave Maris Stella", entonné par des milliers de voix.

Dans le lointain les goélettes s'éparpillent. Elles dépassent la pointe de Porz Even et son oratoire de la Trinité, doublent l’Île St Rion,  puis mettent ensemble le cap à l'Ouest sur l’Île de Batz, elles sont alors en pleine mer.

Là, elles se retrouvent avec les autres bâtiments bretons de Binic, Saint Brieuc et Dahouët.

(Publicateur des Côtes du Nord fin Février 1901) 

 

De Dahouët le Capelan d'Adrien Carfantan était sorti dès le 17 pour aller prendre un équipage de Paimpolais en rade de Saint Rion et le 19 et 20 rejoindre Marie Berthe, Arthur, Jeanne, Glaneuse, Sainte Anne et Saint Michel. Les Binicais étaient dehors en rade de Saint Quay probablement à la même date.

 

Le Saint Michel construit à la Richardais au chantier Tranchemer en 1895 est une belle goélette de 159 tonneaux bruts, 89 tonneaux 35 nets, 32 mètres 20 de l'étrave à l'étambot, 7 mètres 20 au plus large, 3 mètres 30 de creux, matricule SB 639, numéro de pêche SB7, 26 hommes d'équipage dont 14 d'Erquy, capitaine François Guéhéneuc et armateur Jules de Kerjégu.

 

François Marie Ange Guéhéneuc est un jeune capitaine d'Erquy de 28 ans, qui a eu son brevet en 1900 et tenait alors le rôle de second de la Sainte Anne.

 Jules François Monjarret de Kerjégufils du contre amiral ancien préfet maritime de Rochefort, descendant par les femmes des familles d'armateurs, "Messieurs du Légué" Roussel Villeféron et Roussel Maison neuve, se marie en 1880 et vient habiter le château de Bienassis à la limite d'Erquy et de Pléneuf. Il ramène à Dahouët du Légué ses trois goélettes, Sainte Anne, Saint Michel et Mouette car le port d'Erquy n'est pas aménagé pour abriter des grands navires. C'est probablement de lui qu'il était question dans le Bulletin de la Chambre de Commerce de Saint Brieuc en 1893 :

 

A la réunion du conseil municipal d'Erquy, un des membres présents nous a donné l'assurance qu'il n’attendait que le prolongement de la jetée pour procéder à la construction et à l'armement de deux navires à destination de la grande pêche.

 

Mouette n'est pas un navire de pêche mais sert de chasseur à Sainte Anne et à Saint Michel c'est à dire qu'elle prend leur première pêche et leur livre du sel et du ravitaillement.

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L’absence de nouvelles

 

La lecture du journal hebdomadaire départemental "Le Publicateur des Côtes du Nord" montre le temps qu'il a fallu pour qu'on se rende compte de la disparition de quatre goélettes et un dundee.

Le bilan de la tempête sera de 117 disparus d'Erquy à Paimpol.

 

mi-mai - Nouvelles d'Islande

En ce qui concerne la flotte bretonne, les nouvelles reçues d'Islande par les armateurs sont relativement satisfaisantes

 

fin mai - Paimpol

Plusieurs armateurs de Paimpol et de Saint Brieuc ont reçu de leurs capitaines des lettres venant d'Islande... Les différentes lettres confirment les renseignements déjà donnés sur les tempêtes qui se sont produites en Islande, mais ne signalent ni accident de personne ni avaries graves.

 

mi-juin - Naufrage de cinq goélettes islandaises bretonnes ?

Le courrier d'Islande qui vient d'arriver par le paquebot anglais Osborne est encore muet sur le sort des cinq goélettes bretonnes Brune, Capelan, Pilote, Maria et Saint Michel.

On craint que ces goélettes aient disparu en Islande dans la terrible tempête du 6 avril. Sur toute la côte d'Erquy à Paimpol, il règne une vive émotion, une angoisse douloureuse que l'on comprend .

 

fin juillet

L'administrateur de la Marine vient de publier la liste officielle des marins du quartier de Paimpol qui se sont perdus avec la Brune, le Pilote, le Capelan et la Maria. Il y en a en tout 74. Sur ce nombre 41 étaient mariés et avaient des enfants. Le nombre des orphelins pour le quartier de Paimpol seulement est de 127.

 

11 août - Services funèbres

La paroisse de Plérin a eu sa grande part dans le deuil qui vient d'affliger nos populations maritimes du département.

Douze morts : onze sur la Maria... un sur le Saint Michel, Auguste Morvan, la plupart soutiens de famille et laissant derrière eux cinquante orphelins.

 

 

Controverse sur les causes des sinistres

 

Contrairement à l'habitude, les mauvaises langues vont bien être obligées de changer de refrain sur les causes des sinistres en Islande. II ne peut plus être question de la vétusté des navires car le plus vieux et le seul acheté d'occasion est le dundee Pilote de 1887, Brune est de 1892, Capelan de 1893, Maria de 1894 et Saint Michel de 1895. A part Charles le Goffic, un peu trop à l'écoute des rivaux de Dunkerque, tout le monde est d'accord pour louer le bon état des navires et des rechanges, dont un deuxième canot de sauvetage, pour admirer les qualités nautiques et la sécurité des goélettes.

 

Le commissaire de la Marine de Paimpol, Moreau de Moncheuil, vient d'écrire en 1900 un gros article dans le Bulletin de la Marine Marchande sur le sujet. Il est aussi difficile d'alléguer l'incompétence des capitaines car le département compte deux écoles d'hydrographie réputées, Paimpol et Saint Brieuc, non plus que les habitudes éthyliques des matelots dont la ration d'alcool est réduite à 16 cl d'eau de vie.

 

La controverse va s'élever entre le capitaine Hamonet, de la Chambre de Commerce de Saint Brieuc, qui défend les idées de ses collègues bretons et l'officier commandant de la Station d'Islande, De Kergrohen de Kermadio à propos du comportement des goélettes à la cape dans les concentrations de pêche. Hamonet affirme que les goélettes reculant sous des amures inverses, la grande voile arisée à bloc et non manœuvrantes (par suite de la prise des focs dans la glace), peuvent s'aborder, en faisant route collision. De Kergrohen, lui, affirme qu'il n'en est rien, que les navires se font des avaries graves en tenant la cape sans avoir une voile d'artimon triangulaire spécialisée. Ce qui est certain, c'est que De Kergrohen n'a pas réussi à imposer son artimon et que tous les capitaines bretons ont continué à employer la grande voile au bas ris, pour tenir la cape.

 

Saura-t-on ce qui s'est passé et la cause des naufrages ? Un livre de souvenirs d'un marin islandais, un certain Hjalti Jonsson, qui affirme en 1939 avoir été témoin du drame de 1901, donne une version différente en le plaçant dans le Medalland et avec vent du large de Sud Est, les navires français n'auraient pas pu se relever de la côte. Mais alors comment se fait-il que l'on n'ait pas trouvé d'épaves à la côte comme dans la tempête de 1873 d'aussi sinistre mémoire pour les Bretons ?

J.G.

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