13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 12:50

1- La Jacquette du havre de Daouët en la parouesse de Pléneuc

 

En consultant les documents d’époque on ne peut qu’être frappé par le nombre de navires bretons engagés précocement au seizième siècle dans la grande pêche aux Terres Neuves, ce qui correspond d’ailleurs chez eux en Armorique avec un délaissement de leurs pêcheries sécheries littorales depuis environ les années 1450.

 

Ce n’est sans doute pas par hasard que la reine Isabelle d’Aragon réclame en 1511 pour explorer la partie des Terres Neuves qui lui reviennent, d’après la ligne de partage du monde par le traité de Tordésilla, l’emploi de deux pilotes bretons alors qu’elle avait les Basques à sa portée.

 

Apparemment les Bretons du Goelo, fréquentent largement une zone des Terres Neuves appelée Terre des Bretons. Si l’on croit une charte de l’abbaye de Beauport de 1514, ce serait soixante ans auparavant que la dîme des pêcheurs côtiers a été transformée en taxe par tête de dix ouict deniers applicable aux pêcheurs de Terre neuve et d’Islande. Et cela est confirmé par les prétentions des rois de France trente anos , trente ans avant les Espagnols et Portugais, c'est-à-dire donc avant Christophe Colomb de 1492.

terre-neuve400

Cette tera que foy descuberta por Bertomes, (terre qui fut découverte par les Bretons) devait s’étendre de la Pointe du Raz  (Cabo Razo près d’une Baie des Trépassés ) à descendre vers la Floride d’après les affirmations de Catherine de Médicis qui contestera pour cette raison les installations des Espagnols en faveur des Français. Le point le plus connu est le Cap Breton actuel qui n’a rien à voir avec le Cap Breton de Bayonne car il est dit aussi Cap des Bretons ou Coinq des Bretons. Il est d’ailleurs marqué par des hermines sur la carte de Hieronimo de Verrazzano.

 

Les Malouins d’autre part affirment fréquenter Saint Pierre et la côte du Chapeau Rouge depuis 1504  avec des Normands, apparemment des gens de Jersey qui ont une forte empreinte bretonne, et continueront au moins jusqu’en 1600 à fréquenter le port de Saint Malo.

 

On ne s’étonnera donc pas de voir les premiers morutiers européens connus , être en 1508 la Bonaventure de l’île de Bréhat avant port de Morlaix et en 1510  la Jacquette de Dahouët en Pléneuf port de Lamballe.

 En 1515 le marchand breton Michel Le Bail débarque à Honfleur 15000 morues vertes.

 En 1517 le Francis de Bréhat (Briac) est le seul navire à livrer de la morue à Bristol.

Ces navires livrent leur morue salée principalement dans les ports de La Rochelle  et normands Honfleur et Harfleur pour une entrée plus facile dans le royaume de France.

Harfleur en 1487 était le port auquel tous les navires faisant la pesche des morues aux Terres Neufves arrivoient, ainsi qu’ils font aujourdhuy au Havre de Grace.

 

Ceci donc avant que Colomb fut cognu.


 

La Jacquette de Dahouët  nous est connue par une lettre de rémission  de 1513 de Louis XII roi de France et duc de Bretagne pour une affaire de rixe à bord en 1510 entre Guillaume Dobel et Guillaume Garoche.

 

Voici l’essentiel de ce texte :

                        ....... à tous présens et à venir savoir faisons nous avoir reçu l’humble supplication et requête des parens et amis de notre pouvre subject Guillaume Dobel , fils Jéhan Dobel , de la parouesse de Pléneuc , en l‘ évesché de Saint Brieuc , contenant que , comme ainsi soit que , à un jour du lundi au mois de septembre mille cinq cent dix , Guillaume Dejéhan , Bertram Menyer , Mathelin Picard , N . Dobel , Rolland Le Roux , Gilles Régnault , Allain Hercouet , Lorans Baleine , Antoine Thomas et un nommé Pierre Riou , autrement appelé Ricavan , Guillaume avoué bâtard de Allain Héliguen , sieur de Mauny , Guillaume Garoche et le dict Guillaume Dobel fussent en un navire du hâvre de Daouet appelé la Jaquette , duquel navire Bertram Menyer estoit maistre après Dieu et le dict Guillaume Dobel contremaistre , partirent le matin d’icelui jour du hâvre de Saint Aubin de Quillebeuf en la rivière de Seine , venant de la ville de Rouen , où les dicts nommés avoient vendu du poesson qu’ils avoient été quérir et pêcher ès parties de la Terre Neufve . Et comme ils furent déplacez et éloignez du dict hâvre de Saint Aubin environ une lieue et demie , ayant la voile au vent , tirant leur route pour s’en venir descendre au hâvre de Daouet , Mathelin Picart dit qu’il convenoit ranger la boite . Sur quoi le dict Guillaume Dobel  quel alors avoit la charge de gouverner et conduire le navire , dit que le dict navire avoit trop de treff et que le dict Picart n’étoit qu’un diot .

 

Et comme Guillaume Garoche , qui lors gouvernoit le navire o le heaume et gouvernail , commença à parler du maréage du dict navire , le dict Guillaume Dobel lui dit qu’il n’étoit pas pour en parler et qu’il n’étoit qu’un veau . Et sur celles paroles et sur ce que le dict Garoche laissa le gouvernail et entra sur le tillac au derrière d’icelui navire , disant par telles paroles ou semblables “ En effet , le tout est jeu que de frapper “ .

Guillaume Dobel lui donna un coup de sa main sur le visage et par après , voyant que Garoche murmuroit contre lui et qu’il avoit abandonné le gouvernail du navire, celui Guillaume Dobel tira un poignard et courte dague qu’il avoit à son côté , et commença à marcher vers Garoche , lequel cuidant obvier au dict Dobel , s’en partit en grande hâte du lieu où il étoit et issit par le dehors du navire , se tenant o les mains au bord . Et lors , Dobel étant en dedans du navire pourchassant Garoche , sa dague nue en sa main , le dict Garoche cuidant toujours obvier et se garantir du dict Dobel , lâcha les mains du bordage , cheminant vers le derrière du navire , de sorte qu’il tomba et chut à la mer . Et tout incontinent l’un des mariniers , qui lors descendait de la hune du navire , commença à crier à haute voix “ Sauvez l’homme “ en parlant du dict Garoche.

 

Et à celle heure Guillaume Dobel sortit dans le petit bateau du navire , quel étoit amarré au bout d’icelui , coupa une corde appelée la bousse à laquelle le dict bateau étoit amarré et lui et Bertram Menyer et Laurent Balaine nagèrent le bateau droict à Garoche qui nageoit sur l’eau , cuidant le recouvrer et sauver , ce que ne purent faire et fut le dict Garoche noyé  et couvert tout incontinent par la mer .


 

Par cette lettre de rémission le roi de France accorde son pardon à Dobel responsable de la mort de Garoche et resté fugitif depuis le temps de l’accident.

 


 

2- A quoi ressemblait la JACQUETTE ?

 

Sur l’aspect général de La Jacquette  nous n’avons rien de précis.  Toutefois, l’affaire de la rixe à bord, nous ramène avec certitude en 1510, époque des grands navigateurs explorateurs dont les célèbres navires sont assez bien connus, certains ayant même fait l’objet d’une reconstitution grandeur réelle.

 

Bien sûr la Jacquette n’était pas un navire d’exploration et encore moins de prestige. C’était avant tout un navire océanique de travail adapté aux pratiques de la grande pêche et du grand cabotage ; de taille suffisante pour assurer la sécurité de son équipage durant les périlleuses traversées de l’Atlantique Nord.

 

En matière de construction navale notre Jacquette ne pouvait trop s’écarter des « canons » de son époque tout en bannissant l’apparat et le luxe décoratif attachés aux navires de la flotte royale, ainsi que tout ce qui n’était pas purement fonctionnel.


 

Caravelles, nefs et caraques

 

Au début du XVIème siècle la construction navale produisait des navires océaniques de type « caravelle », « nef » et « caraque ». Cette dernière, lourdaude et de grosse capacité, était peu prisée des explorateurs qui lui préféraient la nef, moins grosse et plus manœuvrable.

 

La caravelle, plus légère, ne dépassait pas 25m. Elle portait à l’origine des voiles latines sur 2 ou 4 mâts mais les gréements à voiles carrées avaient définitivement remplacé les voiles latines, bien moins performantes aux allures portantes et dont la manœuvre était plus délicate.

 

On connaît la silhouette de certaines caravelles comme la PINTA et la NIÑA de Christophe Colomb, qui voguèrent vers l’Amérique en 1493.  La NIÑA, la plus petite, avait une longueur de 21m et portait un équipage de 20 hommes.  Elle furent reconstruites à l’identique en 1995.

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Une réplique de la NIÑA – Photo Mike Baird – Wikimédia Commons


 La NIÑA reste une bonne candidate représentative de la Jacquette.

 

La VICTORIA (comme la SANTA MARIA, le troisième navire de Colomb) était une nef d’environ 26 m. Elle faisait partie de la flotte des 5 navires de Fernand de Magellan, navigateur portugais au service de l’Espagne. Elle fut la seule à revenir en accomplissant la première circumnavigation complète de l’histoire (1519-1522). Son équipage était au départ de 45 hommes. Elle fut également reconstruite à l’identique en 2002, 

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 Réplique de la nef VICTORIA – Photo Gnsin Wikimedia


 

Les nefs de pierre

 

Une autre manière de compléter notre étude est d’observer les vaisseaux de pierre sculptés aux frontons des églises bretonnes construites au XV et XVIème siècle. On verra que ces navires sont essentiellement des caravelles et des nefs.

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 Eglise St Raymond-Nonnat - Audierne


Pour plus de détails nous renvoyons le lecteur à l’article très documenté de la revue du Chasse-Marée N°8.


 

Deux siècles après …

 

L’évolution des formes sera lente. La gravure suivante, très riche en détails, nous projette quelques deux siècles plus tard. Elle nous montre un navire de la fin XVIIème ou début du XVIIIème, en action de pêche, à la cape sur les bancs de Terre-Neuve. 

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 Terreneuviers françois pour la Pesche de la Morüe fraiche sur le banc de Terreneuve et de la Morüe seiche au Chapeau Rouge. – Gueroult du Pas – 1710  (Gallica-BNF)


Comme à Islande en période moderne, les pêcheurs sont alignés sur le bord, chacun tenant sa ligne du coté au vent ( voir notre précédent article :  La route vers Islande ). On remarquera que les hommes, sans doute moins bien protégés par des vêtements peu appropriés, disposaient chacun d’une petite guérite pour s’abriter.

L’installation de postes le long du bord était de rigueur sur les navires banquiers qui pratiquaient la pêche errante avant l’emploi généralisé des lignes de fond ( harouelles ) déposées par des chaloupes puis des doris.

 

La Jacquette pratiquait-elle la pêche sédentaire à partir de la côte ou la pêche errante sur le Banc ? Nous n’avons pas la réponse.


Quant au navire, la silhouette est plus longiligne qu’au temps de la Jacquette.

La dunette est bien moins imposante que celle de la caravelle et le gaillard presque inexistant. La proue se pare d’une construction triangulaire et décorative qui se développera sur tous les navires océaniques à venir.


J.G. / D.C.

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commentaires

O
Bonjour, pouvez-vous m'aider ? je cherche la référence pour ceci "En 1515 le marchand breton Michel Le Bail débarque à Honfleur 15000 morues vertes". J'ai noté quelque part que l'information émanait de Michel Mollat, et qu'il s'agissait de les vendre à un marchand rouennais, mais je n'ai plus la source. Merci d'avance. Olivier Le Dour.
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  • : Atelier du Patrimoine Maritime de Dahouët
  • : Bienvenue sur le blog de l'association "Atelier du Patrimoine Maritime de Dahouët" (Pléneuf-Val-André - 22370) - Installé sur le port, dans l'ancien bureau des Douanes, l'atelier a pour objectifs l'étude et la conservation de l'histoire du port de Dahouët et de la baie de Saint Brieuc, tant au point de vue matériel qu'humain.
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