7 mai 2020 4 07 /05 /mai /2020 08:00

 

L'arrivée des goélettes françaises dans les fjords en fin de première pêche avait pour résultat d'attirer les curieux inoccupés, et d'abord les enfants, avec l'idée de recevoir des étrangers des petits cadeaux, de faire marcher le petit commerce de troc ou d'offrir de menus services. Le biscuit de mer, pourtant si décrié par les officiers et les médecins du navire stationnaire de l'Etat était la principale monnaie d'échange et la friandise recherchée par les enfants. D'où la popularité du mot, emprunté au français 'biscuit' ; 'Fransi biskvi' les biscuits français est le titre d'un livre captivant de Mme Eilin Palmadottir qui dépeint du point de vue islandais les relations des pêcheurs et des gens du pays.

 

Il est clair que la fréquentation des jeunes islandais plaisait aux pêcheurs à qui ils rappelaient leurs enfants ou leurs frères et sœurs restés au pays.

« Les gamins étaient toujours par là et les Français jouaient avec eux car beaucoup avaient des enfants en France. Et presque tous qui se souviennent d'eux disent qu'ils aimaient beaucoup les enfants.

.......Les hommes taquinaient les gosses qui s'écriaient à la vue du navire : a la battari, Fransi, Biskvi ! et couraient vers la mer. Pour eux aussi c'était la fête.

.......La plupart des gens des fjords racontent que les enfants se réjouissaient de l'arrivée des Français et couraient vers eux ».

     Palmadottir Fransi Biskui

 

« Les jeunes des voiliers faisaient dans le bourg la connaissance de garçons de leur âge et ainsi sont nées des amitiés de toute une vie ».

     Magnus Gislasson suivant Magni Gudmundsson

 

Panique chez les rouquins

 

Malgré l'attitude bienveillante des visiteurs certains enfants n'étaient quand même pas trop rassurés devant les étrangers dont le comportement leur paraissait bizarre, mangeurs de pissenlits et d'autres choses peu ragoûtantes comme des coquillages crus. D'autant plus que certaines personnes bien intentionnées s'amusaient à faire courir des bruits pour épouvanter la jeunesse comme celui qui assurait que les Français attrapaient ou achetaient des jeunes rouquins pour faire de la bouette sur leurs lignes.

« Seulement de la chair de jeunes garçons....Mais quand même ils pourraient les tuer proprement au lieu de les pendre par les pieds et de les écorcher tous vifs ».

     Gunnar Gunarsson Fjallkirkjuna

     Suivant E. Palmadottir

 

Même sans être rouquin il y avait de quoi être méfiant !

 

Les petits services

 

Les pêcheurs utilisaient les services des gamins en échange de biscuits pour se procurer des crevettes pêchées par eux, des œufs d'oiseaux de mer et même des eiders braconnés par les jeunes chenapans. 'Les canards' étaient très appréciés des Français qui en faisaient des fricots appétissants d'après ceux qui les observaient, et les gosses passaient plus facilement inaperçus des propriétaires en enlevant des couveuses trop confiantes sur leurs nids.

 

Et les mousses français ?

 

On est d'autant plus surpris d'entendre parler par quelques Islandais de mauvais traitements qu'auraient subi des mousses français de la part de leurs compatriotes. En effet quelques témoignages autochtones semblent contredire la bonne opinion générale des observateurs officiels français sur le comportement des équipages des goélettes d'Islande par rapport à leurs mousses.

Ce sont notamment ceux rapportés par Mme Palmadottir de Jon Matthiasson qui parlent de l'intervention de son père Matthias Olafsson à Hogdal et de Bergkvist Stefansson celle de son grand père Thorstein Gudmundsson à Faskrudfiord. Ces deux notables locaux auraient enlevé des mains des équipages français des mousses maltraités, dans le but de les protéger.

 

Les faits, au moins tels qu'ils sont présentés par le souvenir des descendants n'apparaissent pas très vraisemblables, car il n'est pas croyable que des Islandais aient risqué un accident diplomatique en se mêlant des affaires des Français. Les capitaines étaient responsables de leurs hommes tant qu'ils n'enfreignaient pas la loi danoise et systématiquement se faisaient délivrer des attestations quand ils abandonnaient des marins pour les retours en ressac ou la prise en charge par les navires d'assistance. Il ne semble pas non plus que les apostilles des rôles d'équipage et les jugements des Tribunaux Maritimes et Commerciaux aient gardé trace de ces affaires.

 

Il est beaucoup plus probable que ces braves gens aient recueilli de jeunes fugueurs en rupture de goélette comme on a le cas du mousse Le Tiec cité par le commissaire de Paimpol.

Il est possible aussi que des Islandais aient été choqués de quelques châtiments corporels mineurs comme la taloche ou le coup de pied au cul qui n'entraient pas dans leurs mœurs mais étaient répandus dans toute la société française populaire pour l'éducation des jeunes. Nous ne discuterons pas du bien fondé de cette méthode dont certains ont encore la nostalgie.

 

Les cas de mauvais traitements caractérisés ont certainement été très rares en pêche d'Islande et ils seraient en opposition totale avec les témoignages de gentillesse rapportés envers les enfants du pays. Il y a eu des cas de martyrs souffre-douleur parmi les mousses des navires de Terre Neuve et surtout des caboteurs, car ces jeunes provenaient souvent de milieux défavorisés et non protégés. Mais sur les navires d'Islande on était entre parents ou connaissances, souvent de la même paroisse ou voisins et le mousse était confié à quelque parent quand son père n'était pas à bord et il était logé dans la chambre arrière avec les officiers.

 

On ne peut qu'être incrédule à la lecture de Mousses, enfants martyrs de Anatole Le Braz dans 'Lectures pour tous' 1904-1905 du moins pour la référence à l'Islande :

« il nous reste à franchir la zone des pires supplices, il nous reste à suivre l'enfant de la mer à la grande pêche, dans les lugubres, les épouvantables géhennes du septentrion ». Sic !

De plus l'article est illustré par trois clichés de Géniaux dont la présentation au moins est de mauvaise foi, puisque la mise en scène du mousse martyrisé est flagrante, avant, pendant et après et que nous ne sommes d'ailleurs pas sur une goélette mais sur une chaloupe à voiles au tiers du golfe du Morbihan.

 

J.G.

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