6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 12:02

 

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La route vers l'Islande était nettement plus courte que la route vers Terre Neuve. Pour les Dunkerquois elle se fai­sait par l'Est de l'Angleterre et les Féroë (R3), mais les Bretons lais­saient à tribord les Iles Scilly (Sorlingues) du Cornwall Britanni­que puis le célèbre rocher du Fastnet au Sud Ouest de l'Irlande pour faire atterrage sur la côte Sud de l’Islande (R1) en ayant soin de parer le sinistre rocher « Rockall ». 

 

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      L’Île de Rockall, base 25m, hauteur 22m, revendiquée par le Danemark, l’Irlande et l’Islande, fut annexée par le Royaume-Uni en 1955. Plusieurs naufrages se sont produits dans ces parages. Citons en 1904 la perte du SS NORGE (3318 T) faisant 635 victimes sur les 700 émigrants à son bord. Le rocher est appelé Men Kaoc’h par les Bretons à cause des fientes d’oiseaux de mer, bien visibles sur la photo.

 

(Photo Andy Strangeway – Wikipedia)

 

Le voyage demandait huit à douze jours. On raconte que quelques captains de navires chasseurs ne seraient pas arrivés à trouver l’Islande mais cela semble une plai­santerie de Paimpolais vis à vis des Pleubiannais dont ils étaient clients. La route plus directe par le Canal Saint Georges entre l'Irlande et l'Angleter­re (R2) ne demandait que cinq à six jours mais exposait à rencontrer des écueils . Le retour était toujours plus long à cause de la charge des navires et des salissures déposées sur la coque.

 

Avant 1864 il ne se faisait qu'une campagne printemps-été comme ceux de Dunkerque et Gravelines, le règlement interdisant le départ avant le premier avril. Rapidement les Bretons obtinrent de partir au début de février pour une campagne d'hiver, quittant le pays à la première grande marée du mois, après le pardon des Islan­dais. La deuxième campagne de printemps-été finissait normalement à la Sainte Marie de la mi-aout, sauf prolongement en cas de pêche insuffisante.

Entre deux campagnes, les navires stationnent en rade dans un fjord où ils étaient déchargés de leur première cargaison par des navires armés au long cours appelés « chasseurs » (du vieux français chasser = aller chercher) fournis par Paimpol et surtout Pleubian qui n'armait pas à la pêche mais au cabotage. Le séjour en rade permettait le décrassage du navire et aussi de l'équipage qui pouvait pro­fiter des sources chaudes pour se laver la couenne et les hardes, car il est évident qu'une activité com­me la pêche intense en espace restreint ne favorisait pas l'hy­giène à bord, C’était un avantage sur les dorissiers du Banc qui ne touchaient pas terre pendant six mois.

 

La première pêche d'hiver était assez dure à cause des condi­tions climatiques, mais elle était réclamée par tous, armateurs, ca­pitaines et matelots à cause de sa rentabilité. Ils prétendaient que les dunkerquois qui partaient après eux, mais mal équipés,  avaient encore plus de pertes car le danger provenait des tempêtes d'avril, déclanchées par la fonte des neiges.

 

Plus que l'inconfort, le problème de l'Islande aurait été le risque de pertes humaines. A Paimpol on compte en 83 ans plus de 100 nau­frages avec 2000 disparus (Avril-Quéméré) chiffre exagéré du à une évaluation sans comptabilité car la majorité des naufrages n’étaient pas corps et biens.

A Dahouët, toutes proportions gardées par rapport au nombre quatre fois supérieur des Paimpolais, on est loin der­rière. Sur 42 navires islandais retrouvés (chiffre au dessous de la réalité) 8 ont disparu là bas: le Nouveau Trois Frères, la Marie Berthe, le BC, l'Arthur, l'Isabelle et Marie, le Capelan, le Glaneur, et le Saint Michel (le Saint Michel avait son armateur d’Erquy, son équipage de Pléneuf et Erquy et partait de Dahouët). A remarquer que pour 8 islandais disparus là bas, 6 autres ont fait naufrage au cours du voyage d'hiver en Espagne et Portugal pour livrer le poisson et ramener du sel. Cette activité de cabotage de fin d'année était générale à la fin de la saison de pêche.

 

Les danois ne permettant pas la pêche à partir de la terre et l'insécurité des flots rendant dangereuse la pêche en annexe,  celle ci se faisait du bord au vent sur le navire en dérive guidée.

 

En pêche en Islande800

En pêche le long du bord

 

Les hommes rangés le long du pavois agitaient leurs lignes à main sur un cabillot fendu appelé mèque (terme picard pour mèche). Le poisson remonté en force était élangué par son pêcheur qui conservait la pièce à con­viction pour les comptes. Il était passé à la bordée d'habillage qui le décollait (coupait le cou), l’éberguait (éventrait) et l’énoctait (enlever l'arête et la vessie) pour passer au saleur en cale. Les dunkerquois ne salaient pas en cale mais en barriques, qui beau­coup restaient en pontée ce qui affligeait la stabilité du bateau. Pendant ce temps la troisième bordée se reposait, si du moins elle n'était pas appelée en renfort.

 

Les conditions de vie sur les goélettes ont été très décriées en particulier par les messieurs de la Royale, stationnaires d'Is­lande (surveillants). C'est vrai qu'elles étaient  dures et que les pelletas, paysans marins six mois de l’année, devaient regretter le plancher des vaches, surtout pendant la campagne d'hiver. Il ne faudrait quand même pas en rajouter car Il y avait :

  • des hôpitaux français avec interprètes bretons sur l’île,
  • une surveillance et assistance par les stationnaires,
  • un embarquement de vivres en quantité nettement définie par les autorités avec peut-être trop de libéralisme pour l'alcool, mais une grande partie de celui-ci servait comme monnaie de troc avec les gens du pays.

 

 

Les ca­pitaines surveillaient avant le départ l'entretien du navire et l'embarquement des vivres et agrès. Evidemment les mois passant la situation se dégradait.

La désolation ne semblait pas régner à bord ; au moment du dé­part nous avons vu la Rachel et le Saint mARC régater pour sortir de Dahouët (voir article précédent). On est loin de la scène d'embarquement pour Terre Neuve décrite par Jean Conan à Paimpol en 1787. Horrible ! :

 

« Les pères et mères, à l'idée de ne plus revoir leurs enfants, criaient. Les matelots ivres criaient adieu à leurs femmes, les tam­bours et les coups de canon retentissaient ; moi j'avais le coeur saisi et épouvanté »

 

Les déserteurs de la dernière heure étaient en général des lous­tics qui avaient signé plusieurs engagements pour toucher les a­vances. Ce n'était sans doute pas une habitude de se jeter sur sa paillasse tout habillé puisqu'on voit les marins de la Jeanne, ca­pitaine Boscher, arriver pieds nus et en caleçon sur le pont, le branle bas d'urgence étant déclanché. Le rendement de la pêche était il l'obsession du capitaine Gallais du dundee Andrée qui, n'ayant pas pu débarquer en Islande le blessé Joseph Chrétien, les deux jambes cassées, le ramène direc­tement à Dahouët ?

 

Avant de sourire des connaissances médicales du maître à bord et des possibilités de son coffre à médicaments, il faudrait se demander si les possibilités médicales de l'époque n'étaient pas plutôt réduites. Lisez donc le Publicateur du 13 avril 1861 :

 

"Elle avait contracté cette maladie pour avoir été mordue, dix jours auparavant, par un chien enragé. Le médecin de la maison, qui la traitait, voyant au bout de quinze jours que ses remèdes ne faisaient rien sur elle, avait déclaré le cas incurable et or­donné en dernier ressort de l'étouffer entre deux matelas"

 

On peut croire que si la "grande pêche" (Terre Neuve) et la pê­che "à Islande" n'étaient pas des parties de plaisir mais un du­re nécessité, la vie à la terre pour les petites gens, les "tud rouz" en breton, n'était pas des plus roses. En six à sept mois l' Islandais gagnait en moyenne deux fois plus que chez lui dans u­ne année, pour une campagne normale du moins car il était rétri­bué à la part de bénéfice qui pouvait être médiocre par la fai­blesse de la production, de la commercialisation. de la conserva­tion. Les mois d'hiver pouvaient être occupés par le retour à la terre ou aux carrières de grès, l’embarquement au cabotage pour l'Es­pagne ou le Portugal ou "faire courir ses invalides" par ins­cription sur le rôle d'un pêcheur côtier (trois sorties minimum par semaine).

 

La pêche sur les grands voiliers de Dahouët, malgré l’utilisation vers 1900 de trois-mâts bivalents (Islande et Terre Neuve) à moteur auxiliaire et plus spacieux, résista mal à la raréfaction­ des équipages par l'augmentation du niveau de vie, la concur­rence de la Royale et de la Marchande. Seul Binic essaiera de sui­vre un Paimpol en perte de vitesse. L'hémorragie de 1914-1918 précipitera la fin pour tout le monde.

 

Les chiffres des grands voiliers de pêche donnés pour 1912 : Paimpol 20, Binic 7, Le Légué 1, Dahouët 1 sont inexacts. Car si De Kerjégu d'Erquy fait encore partir une goélette du Légué, Carfantan de Dahouët, qui a perdu le Glaneur en 1910 fait encore travailler la Paulette, la Henriette, la Mathil­de et le Léon. Après la guerre restera la Paulette vendue en 1921 à St Servan et le Léon mis à pourrir le long du quai en 1929, tous deux essayant tantôt Islande tantôt Terre Neuve.

 

Et c'est la fin d'une histoire peu connue commencée avec la Jacquette de Dahouët en 1510 « tans en la coste de Bretaigne, de Terre Neuffve, Islandre que ailleurs »

 .

Mais pourquoi donc, gonflés par les littérateurs et les bardes de caf'conç, les Paimpolais ne veulent voir dans leurs anciens compagnons de travail et souvent de misère, Dahouët, Le Légué, Binic, Portrieux, Tréguier, Pontrieux que « des rivaux presque médiocres » (Kerlévéo,Paimpol au temps d'Islande T1 P 118) ?

J.G. 

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