Les frasques du poisson Nicol

 Avous ouï du paysson Nicol ?  Avez-vous entendu parler du poisson Nicol ?

Sans doute pas car il semble bien oublié aujourd’hui mais nos anciens en parlaient encore il y a peu, et si à Dahouët on était à la limite du territoire de ses méfaits concentrés autour de Saint Cast et Saint Jacut, Cadouins et Jegouins n’avaient pas le monopole de sa présence car il sévissait dans la Baie de Saint Malo et celle de Saint Brieuc.

D’après les gens de Saint Jacut c’était le fantôme d’un ancien garde pêche, d’après ceux de Saint Cast, d’un ancien garde côtes qui de son vivant n’avait cessé de harceler le pauvre monde et avait décidé de continuer après sa mort sous la forme d’un béluga solitaire mal intentionné.

Et la bête là de tirer les filets des malheureux pêcheurs, les déchirer, emmêler les amarres et câbles, emmener les bateaux hors du port et les laisser dériver, bref tout ce qu’il pouvait inventer pour nuire aux gens de mer. Et on entendait même la bestiole rire de ses mauvais tours. On avait beau tirer dessus au fusil rien n’y faisait sauf qu’un jour il disparut subitement. Certains affirmaient qu’il était parti suivre un bateau de Terre Neuve, d’autres qu’il avait été aspergé d’eau bénite par un prêtre. C’est peut être de ce temps là que l’on a pris l’habitude partout sur la côte de considérer les bélugas comme des nuisibles et d’organiser des parties de chasse pour les touristes qui appréciaient beaucoup.

  (photo Stan Shebs - Wikipedia)

Il semble qu’il y ait eu une série de  péripéties locales réelles à la base de cette chasse au poisson Nicol sur nos côtes. Le premier, Le Magasin Pittoresque - 1835, est même précis puisqu’il avance la date de 1823 et une durée de trois à quatre mois pour les méfaits de l’énergumène le long de la côte de Saint Brieuc à Saint Malo, mais avant tout autour de Saint Cast. Habasque (Notions historiques sur le littoral des Côtes du Nord) à la même époque avance les mêmes indications tout en plaçant le départ des événements au niveau d’Erquy (non loin de la chapelle Saint Michel). Sébillot (Traditions et superstitions de la Haute Bretagne) reprend en 1879 pour Saint Cast et Plévenon l’évocation des méfaits de Nicol.

Duédal (Les amis du vieux Saint Jacut 1986) reprend l’affaire d’une narration savoureuse centrée autour de saint Jacut. Pour lui, Nicol et une grande partie de ses poursuivants disparaissent dans un coup de vent au moment de la confrontation mais on retrouve le bicorne de feu Monsieur Nicol sur la côte.

Le plus curieux dans cette légende c’est qu’il semble que l’on ne la retrouve pas sur les autres côtes de France mais en Sicile autour du détroit de Messine. Le Cola Pesce n’est pas un être malfaisant mais un homme poisson secourable pour les humains et la légende remonterait jusqu’à l’empereur Frédéric II de Souabe (1221) et serait originaire de Grèce. Serait-ce un lettré qui, transportant la légende, aurait mis avec succès sur le compte d’un Nicolas une série d’incidents locaux sur la côte de Bretagne produits vers 1820 ?

J.G. / D.C.