1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 09:00

Cet article de Jakez Gueguen fait suite à celui d’Octobre, consacré aux animaux du bord.

 

On se figurerait facilement que les marins, créatures spéciales dans le genre humain, ne vivaient, en dehors de leurs semblables, que dans la fréquentation de poissons, cétacés, sirènes et autres bestioles maritimes. Mais à part les longs courriers en mer à longueur d’année, beaucoup de marins, même en dehors de leur enfance et vieillesse, passaient beaucoup de temps sur le plancher des vaches.

 

Le cheval du capitaine

 

La plus noble conquête de l'homme étant encore le moyen de traction le plus répandu à la grande époque, il était fatal que les chevaux se trouvent bien souvent en contact avec le monde maritime. Le plus souvent les armateurs et les capitaines possédaient leurs propres écuries mais même les capitaines étaient bien souvent obligés de mettre la main à la pâte pour en assurer l'entretien, comme ce Paimpolais qui s'excusait devant ses visiteurs d'être « kabiten skarzh an teilh » c'est-à-dire « capitaine vide-le-fumier ». Bien souvent d'ailleurs le cheval du capitaine, du moins sur Paimpol, était un poney ramené d'Islande à bord de sa goélette. Pour ce faire on lui construisait une cabane sur le pont et on se débrouillait pour se procurer du foin pour le voyage, d'ailleurs les poneys d'Islande ça mange de tout, même du goémon et des têtes de morue.

 

Mais l'équitation ce n'était pas le fort de la Marine, il fallait bien quand même que les messieurs officiers du navire stationnaire s'y mettent quand les autorités d'Islande organisaient des promenades à cheval dans les environs de Reykjawik, mais leurs pauvres fesses non habituées étaient soumises à rude épreuve et les pieds aussi, qui sur ces petites montures s'accrochaient facilement dans les ornières. Et que dire des naufragés en côte Est qui devaient rejoindre Reykjawik à cheval par un voyage de huit jours au moins par monts et par vaux car il n'y avait que des pistes, pas de routes. Mais c'était le seul moyen de communication, même les bonnes sœurs de Reykjawik devaient y passer quand les glaces interdisaient la voie maritime, on comprend qu'elles n'étaient pas du tout des fanatiques de Faskrudfjord où était établi l'hôpital de la Mission (photo ci-dessous).

 

Vestiges de l'hôpital de Faskrudfjord côte Est Islande - Photo David Paterson

Vestiges de l'hôpital de Faskrudfjord côte Est Islande - Photo David Paterson

Ministre ou bardot

 

La plupart des marins de la zone littorale de la Baie de Saint Brieuc vivaient dans la peau d'un paysan pendant une partie de l'année car il leur fallait une deuxième activité pour s'occuper pendant les mois d'hiver et c'était en général la tenue d'une fermette menée par l'épouse à longueur d'année. Cette double activité terre-mer est ancienne car autrefois les gens de Tuéro à Erquy payaient au seigneur le droit de pâture de leurs vaches en raies séchées. Le marin avait souvent peu de contact lui-même sans doute avec les chevaux car il travaillait à la ferme voisine pour gagner ses « journées de harnais » autrement dit bénéficier des services du cultivateur voisin pour labourer sa parcelle. La femme elle faisait appel aux services d'un âne qui chez les marins était appelé « ministre » sauf à Cesson, dans la banlieue maritime de saint Brieuc, où c'était un « bardot ».

L'âne était un animal extrêmement populaire à l'époque et pas seulement chez les Cessonières qui utilisaient les bardots pour tout leur petit trafic de maquereaux et de bigorneaux et les prêtaient à l'occasion pour tirer les goélettes sur le chemin de halage du Légué. A Dahouët où le parcours était moins long c'étaient les « coueffes » (les femmes) qui halaient sur les amarres. Les Cessonières en été écumaient la côte d'Hillion jusqu'à Erquy à la récolte des « farins » (bigorneaux) en s'installant dans les villages côtiers avec leurs montures et livraient leurs prises au petit train qui les ramenait à Cesson. On ne sait si le bardot était admis dans le petit train pour le rapatriement en fin de saison.

 

Un des ânes les plus célèbres dans les histoires qu'on se racontait sur la côte est l'âne de Saint Jacut sur le dos duquel les Jéguins auraient monté un canon pour disputer à ceux de Saint-Cast le territoire de pêche des Bourdineaux; mais la mauvaise bête avait semé la panique chez ses propriétaires en changeant d'orientation à son artillerie par volte face.

 

Par ma fois mon gars, il faut abandonner les Bourdineaux, l'âne est avec eux!

 

Les vaches du port de Dahouët

 

Bien sur il y avait dans les fermettes une ou deux vaches, des petites bretonnes ou des « froment » bétail très rustique et sobre, les chèvres étaient très rares. Qui se rappelle encore des vaches du port de Dahouët qui à l'ébahissement des touristes montaient l'escalier de Notre Dame de la Garde ou traversaient le port à marée basse en se faisant des chaussettes de boue ?

 

Le syndic

 

Mais l'animal clef de l'élevage du marin c'était le cochon qu'on appelait le « syndic » sans doute par malice comme les paysans appelaient le leur « prince » car habillé de soies.

Le jeune cochon de deux mois s'achetait au marché et était ramené dans un sac ou en laisse, quelques fois embarqué sur le bateau pour les îliens ou dans le petit train. Par moments paraît il les pourceaux menaient un raffut quand ils se mettaient à brailler ensemble dans leurs sacs. En fin de carrière l'animal pouvait être sacrifié sur place pour en revendre une moitié ou, dans les environs de Saint Brieuc, être conduit au marché en concurrence des porcs ruraux. Mais là les cochons marins étaient tenus en suspicion car ils avaient la réputation d'avoir le goût de poisson à cause de leur nourriture d'où obligation pour ceux qui arrivaient à pied par la grève de leur faire nettoyer les pattes dénonciatrices en passant au « Trou aux cochons ».

 

Publicateur des Côtes du Nord 1849 :

Pour la force et l'énergie les femmes de Cancale valent leurs maris

La semaine dernière le cochon de Victoire Hénon s'en vint grogner jusqu'à la porte de Julie Després qui se disposait à s'indigner quand sa voisine s'arma d'une gaule pour reconduire à son refuge l'indiscret commensal. A cette vue Julie Després, faute de pouvoir se venger sur le cochon se fâcha contre sa maîtresse. Pourquoi frappez vous cet animal ? La cour est à lui comme à nous, il peut bien venir jusqu'à ma porte, peut être!

A cet apostrophe Victoire répondit par un coup de gaule qui, au lieu d'atteindre le cochon, atteignit celle qui le défendait. Furieuse Julie courut sur sa voisine. Celle-ci fuit jusqu'à son lit, son propre lit, où atteinte elle reçut, dit elle, trois coups de poing qui auraient tué un bœuf.

Pourquoi Dieu donna t il aux Cancalaises la force en partage ?

 

Les armateurs entretenaient souvent des cochons dans leurs « retraites » mais pour préparer l'avitaillement des navires il fallait en acheter en plus dans les environs. En effet pour Islande en Baie de Saint Brieuc on achetait rarement du lard industriel américain comme à Saint Malo mais on sacrifiait des cochons sur place , ce qui permettait d'avoir en plus, comme on le voit sur les listes d'avitaillement, du saindoux, de l'andouille et des saucisses.

 

Dans sa brève existence le « syndic » était quelques fois malade. Si un jour il ne mangeait pas, on lui présentait d'abord une pomme aigre ou de la soupe faite avec du goémon « tennet » des « crainquenelles » (crabes étrilles) et des berniques. S'il persistait dans son refus on lui coupait le bout de la queue pour le faire saigner et on lui frottait vigoureusement les côtelettes avec un emplâtre de moutarde. Dans les cas désespérés on lui enfilait un séton d’herbe à la bosse (hellébore) dans les oreilles d’où l’existence de « poers » sans oreilles parmi les rescapés

 

Le cas d'un ancien islandais de Plouézec est des plus inattendus car retiré de la pêche il était devenu « vétérinaire de campagne » c'est-à-dire sans être passé par les écoles. Il castrait les petits cochons, perçait les vaches enflées dans le trèfle et mettait les veaux au monde.

 

Le mouton au secours des naufragés

 

Quels rapports pouvaient avoir les marins avec les moutons, ceux des champs bien sur, pas ceux de la mer ? Très peu au pays car l'animal était sur la côte moins fréquent qu'à l'intérieur des terres, mais bien plus en Islande où il représentait une source de viande fraîche soit par achat ou par kidnapping. Mais l'abbé Silwent annonce une autre utilité, le réchauffement des naufragés. Le brave abbé n'a certainement pas assisté à une telle scène invraisemblable car les pauvres bêtes auraient succombé sous le poids des bonhommes et la présence des moutons ne pouvait pas amener grande amélioration à la situation thermique. D’ailleurs les sources islandaises parlent de bouillottes d’eau chaude.

 

Les deux hommes repêchés ne donnaient presque plus signe de vie dans leurs vêtements recouverts de glace; le courageux sauveteur, aidé par quelques habitants d'une case voisine, put transporter les mourants dans une écurie de moutons ; on coucha sur le sol deux de ces animaux, on étendit les deux hommes dessus, puis, par le moyen d'un vigoureux massage avec la longue laine des moutons on ramena la chaleur et la vie chez ces deux hommes.

 

L'islandais qui a renseigné l'ecclésiastique n'a probablement fait que lui raconter une version plus correcte d'une bonne histoire du pays. Il ne s'agit pas de mouton mais de femme nue.

 

Il en résulta bien évidemment toutes sortes de blagues et d'histoires drôles, comme celle des naufragés qui arrivent plus morts que vifs à une ferme près de Vik. L'un d'eux est dans un état si alarmant qu'on décide de le mettre au lit au côté d'une jeune femme nue, dont la chaleur devrait le ranimer. Le procédé réussit car au bout d'à peine un quart d'heure la jeune femme appelle son mari: "il commence à….". Le mari réagit "Dis lui d'arrêter!" a quoi elle répond vertement: "Dis le lui toi-même, moi je ne parle pas le français" On retrouve cette même histoire avec des variantes en différents points de la côte où des pêcheurs français sont passés.

Les Pêcheurs Français E. Palmadottir

 

Animaux et accidents

 

Mais le danger pour le marin ne venait pas toujours de la mer.

On cite le cas de ce pelleta qui disparut à la côte de Terre Neuve probablement « dévoré par un fauve ». Mais à l'île de Terre Neuve d'après les armateurs la vie y était plus sure que dans la métropole par l'absence de bistrots et d'accidents de la circulation hippomobile.

 

Publicateur des Côtes du Nord 1852 :

Le premier janvier vers quatre heures du soir le nommé Guillaume Méheut, forgeron domicilié au bourg de Pleudihen, revenait du village de la Chapelle, rencontra deux voitures attelées chacune d'un cheval et se dirigeant au galop sur Pleudihen et, plus loin, un homme gisant sur la route et sur lequel les roues de ces deux voitures venaient évidemment de passer. Il alla à lui et chercha à lui relever la tête, mais le malheureux poussa un soupir étouffé par la douleur et mourut aussitôt. Il le reconnu pour le nommé Julien Roussel, marin âgé de 43 ans et habitant le bourg de Pleudihen.

Le sieur Méheut ne s'était pas trompé. La roue d'une de ces voitures, en lui passant sur la tête, lui avait broyé le crâne. A quelques kilomètres plus loin, trois individus dont un marchand de légumes de Paramé, en buvant un litre de cidre dans un cabaret, disaient qu'ils venaient d'écraser un homme sur la route. L'un d'eux ajoutait même, il est bien mort, c'est malheureux pour moi car voilà déjà plusieurs fois que ça m'arrive. Je veux savoir si cet homme est de mon pays !

 

Mais il arrivait quelquefois le contraire, que la mer engloutisse un cavalier.

 

Publicateur 1845 : Coup de filet - On nous écrit de Cancale

Des pêcheurs de notre port étant en mer il y a quelques jours, ont donné un coup de filet qui, en guise de poisson, leur a apporté un cheval tout harnaché, sellé et bridé. La mer retirait en ce moment de la baie du Mont Saint Michel et tout porte à croire à un grand malheur car selon toute apparence l'individu que ce cheval portait aurait péri dans la baie, par une de ces brumes si fréquentes en certaines parties de nos côtes. Derrière la selle était une pièce de toile portant sur la lisière les noms suivants « Saint Yves à Saint Hilaire »

Il est à présumer que c'est en revenant d'acheter cette toile à Saint Hilaire que le maître de ce cheval a péri.

 

C’est là l’origine de l’histoire que l’on raconte à Cancale du « poisson ferré »

Et attention au bain des chevaux ! Publicateur 1869 :

 

Le 10 octobre vers 8 heures du matin, un enfant de quinze ans natif de la commune d'Yvias et du nom de Sévenon Toussaint qui depuis deux mois était au service du sieur Le Hégarat, aubergiste et voiturier à Saint Quay, était allé baigner sur la grève trois chevaux appartenant à son maître.. Il parait qu'il y était depuis longtemps car son maître, inquiet d'une absence qui se prolongeait, se mit à la recherche de son domestique. Il alla sur la grève mais ne voyant plus le jeune homme, anxieux, il interrogea du regard la mer et il aperçut au loin ses trois chevaux qui flottaient à la dérive et qui étaient entraînés par le courant et le reflux. Espérant pouvoir sauver l'enfant qu'il croyait apercevoir de loin près de l'un des chevaux, Le Hégarat se jeta promptement à la nage et fut imité par Mrs Julien Vernet, propriétaire et François Bouquin marin retraité. Mais malgré leurs efforts ces trois courageux sentirent leurs forces s'épuiser et se seraient peut être noyés également, si par un bonheur providentiel le pilote Floury Sylvestre ne fut passé au large avec son bateau. On lui fit des signes de détresse et ce pilote venant à leur aide secourut les hommes et les chevaux.

 

L'islandais et la grenouille

 

Mais quelques fois le danger venait vraiment du tout petit.

Journal de Paimpol mars 1900 :

Plouézec, l'islandais et la grenouille

Le nommé Cl M qui va en Islande depuis 42 ans a failli ne pas y aller cette année. Ayant trop bu il se coucha sous une haie. Pendant son sommeil une grenouille s'introduisit dans sa bouche et faillit l'étouffer. Sans l'arrivée du receveur buraliste il aurait pu passer de vie à trépas.

 

Mais encore, le danger terrestre peut s'installer à bord.

Publicateur 1877 On écrit de Marseille :

On vient de tuer le troisième serpent trigonocéphale qui se trouvait à bord du Robertus Indious. On avait pendant plusieurs jours jeté des pigeons empoisonnés à fond de cale pour donner la mort au reptile mais sans résultat. L'armateur qui voulait à toute force terminer le débarquement des marchandises a fini par recourir aux grands moyens. Durant trois jours il a fait répandre sur le pont une assez grande quantité de lait pour attirer le serpent. Le quatrième jour, pensant que l'animal quitterait sa retraite, il fit disposer au pied du grand mât une énorme jatte de lait empoisonné. Vers onze heures trois quart du matin on entendit un sifflement aigu qui partait de l'entrepont et on vit bientôt sortir de l'écoutille de tribord la tête triangulaire du reptile asiatique. Après s'être assuré qu'il n'y avait personne sur le pont (car l'équipage s'était réfugié dans les vergues) le serpent se dirigea vers le grand mât et bondit plutôt qu'il ne se jeta sur la jatte de lait empoisonné.

Il absorba un demi litre environ du fatal breuvage et il se disposait à revenir à fond de cale par l'écoutille restée ouverte lorsqu'on le vit se tordre dans d'effroyables convulsions, essayant d'avancer et pris peu à peu d'un engourdissement invincible.

Du haut des mâts l'équipage suivait avec anxiété les effets rapides du poison. Quand le reptile ne bougea plus on s'en approcha et on pu le rouler comme un câble pour le mettre en bateau et le transporter à quai;

 

On en a fait cadeau au Muséum d'Histoire Naturelle.

 

J.G.

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  • : Bienvenue sur le blog de l'association "Atelier du Patrimoine Maritime de Dahouët" (Pléneuf-Val-André - 22370) - Installé sur le port, dans l'ancien bureau des Douanes, l'atelier a pour objectifs l'étude et la conservation de l'histoire du port de Dahouët et de la baie de Saint Brieuc, tant au point de vue matériel qu'humain.
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