1 février 2018 4 01 /02 /février /2018 09:00

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Il ne faudrait cependant pas croire que la première expédition bretonne à Islande ne remonte qu'en 1852 avec l'expédition de la goélette Occasion du Paimpolais Morand. En effet une chartre de l'abbaye de Beauport près Paimpol et conservée aux archives départementales de Saint-Brieuc et datant de 1514, réclame aux pécheurs de l'île de Bréhat une dime ou plus exactement, puisque la dime ne serait pas applicable à des pécheurs hauturiers, une capitation de dix-huit sous par tête due depuis soixante ans tant par les pécheurs côtiers que ceux d'Islande et de Terre Neuve. Il n'y a aucun lieu de refuser cette ancienneté de soixante ans à la taxe sur ces destinations lointaines car elle correspond à la transformation de la dime, pourcentage sur les prises des pécheurs locaux, en capitation fixe par tête sur les hauturiers qui livrent ailleurs leur pêche, (en Normandie ou à Bristol). Cette datation précoce correspond d'ailleurs avec le fiasco des pêcheries littorales bretonnes de la Manche.

 

Cette date d'environ 1450 pour les Terres Neuves n'a à la réflexion absolument rien d'extraordinaire car elle permet de nombreux recoupements avec d'autres affirmations. Pour Islande il n’y a pas de problème c'est bien au cours du quinzième siècle que les gens de Bristol, employeurs des marins et navires bretons et acheteurs de morue sèche, ont pris pied dans l'île en raison du desserrement de l'emprise du Danemark et de la Hanse. Cet engagement ainsi que les contacts avec les Scandinaves de Dublin inféodés à Bristol expliquent les nombreux termes nautiques norrois de la langue bretonne, trop nombreux pour avoir transité par la langue française.

 

Peut-être même les Bretons sont-ils allés avec leurs associés britanniques jusqu'au Groenland où subsistait une colonie nordique du commerce de la morue séchée avec les Anglais. C'est ainsi que dans les mêmes temps, mis au courant des progrès de la navigation par les Portugais, ils auraient eu l‘idée de traverser la mer Océane, route en latitude plein Ouest, pour retrouver les Terres Neuves des Scandinaves et y installer un pied à terre à la "Terre aux Bretons" c'est-à-dire "terra que foy descubierta por Bertomes" des cartes portugaises et ceci vers 1460, c'est-à-dire plus de trente ans avant Colomb suivant les prétentions de François premier.

 

            Mas XXX annos antes que los navios de Espana ny de Portugal ayan navegado a Las Nuevas Indias

 

L'existence d'une terre de l'autre côté de l'Océan était connue :

 

            Si une nef tiroit tout doit à la longue devers le couchant, oultre les païs d'Illande, elle se trouveroit à la terre du Prestre Jehan

            1469 Livre des païs du héraut Berry

(NB:  St Jean de Terre-Neuve se trouve quasiment à la même Latitude que Nantes)

 

Il est très probable que John Cabot, parti de Bristol en 1497 aux ordres de Henri Tudor, roi d'Angleterre, tout à fait au courant de la situation puisqu'il revenait d'un exil de quinze ans en Bretagne, ne faisait que rechercher la route de cet établissement armoricain fournisseur de morues dans les ports normands et anglais. Il y fit installer la compagnie anglo-portugaise des Merchants Adventurers qui ne dura que jusqu'en 1504 où les armoricains revinrent en force avec leurs voisins et clients normands. C'est ce qui explique la provenance des premiers navires pécheurs signalés aux Terres Neuves la Bonne Adventure de Bréhat et la Jaquette de Dahouët, la nette prédominance au début du siècle sur les lieux des navires bretons ( le Francis de Saint Briac où Bréhat, décharge à Bristol en 1515) et le fait que Jeanne d'Aragon en 1511 réclame à Juan d'Agramonte, envoyé découvrir une certaine "terra nova" qu'elle estime devoir lui revenir, l'embarquement de deux pilotes bretons.

 

Il est clair en tous cas que les rois de France soutenaient vis-à-vis des prétentions espagnoles et portugaises le droit d'antériorité de leurs nouveaux sujets :

 

            Espagne et Portugal veulent que tout le nouveau monde soit leur et que les Français n'y puissent pas naviguer, ne mesme vers le Nord que les Bretons découvrirent plus a de cent ans

            Sire de Fourquevault à Catherine de Médicis en 1567

 

À la suite des guerres maritimes perpétuelles avec Anglais, Hollandais, Espagnols les expéditions morutières aux Terres Neuves, florissantes au cours du XVIème siècle, ne tardèrent pas à être minimales, comme les pêches côtières d’ailleurs, dans les petits ports non défendus de la baie de Saint Brieuc. Alors que Granville et Saint-Malo tiraient leur épingle du jeu, Paimpol, Portrieux, Binic, Le Légué attendirent 1815 pour redémarrer. Mais alors d'après Habasque (1833) ils représentaient la plus grande flotte morutière du Royaume et on ne pouvait plus dire "le Petit Nord où vont les Malouins" car les "ventres jaunes" de la Baie de Saint-Brieuc y étaient les plus nombreux.

 

La lenteur de la reprise d'activité de Lamballe jointe aux difficultés d'accès de la passe pour les grands navires firent que les armements à la Grande Pêche à Dahouët prirent du retard sur les voisins. Par contre la modeste flottille de six morutiers pour Terre Neuve dépassait Paimpol en perte de Vitesse pour cette destination. Ainsi Dahouët fut le premier port breton à suivre les Paimpolais qui s'investissaient depuis 1852 dans la moins coûteuse pêche à Islande, avant que ne s'amorce (1863) le déclin de la pêche sédentaire à la côte de Terre Neuve.

 

Vu l’exiguité du port, les armements à la Grande Pêche firent disparaitre vers 1860 les constructions navales établies dans les anciennes salines de Mercœur. C'est alors que Gautier quitta le pays pour s'établir avec ses fils à Saint-Malo ou il devint célèbre comme constructeur du Pourquoi pas, du commandant Charcot.

 

Le "Pourquoi pas" du commandant CHARCOT au Havre le 15 Août 1908 - (BNF)

Le "Pourquoi pas" du commandant CHARCOT au Havre le 15 Août 1908 - (BNF)

Alors que la grande partie des goélettes de Paimpol rentrait en hiver bien sagement dans le bassin à flot, où les photos d'époque nous les montrent à touche-touche dans d'impressionnantes rangées, les goélettes de Dahouët sont très souvent absentes de leurs quartiers d'hiver. D'abord elles sont souvent obligées d‘être en mouillage forain pour éviter de rester coincées dans le fond du port par la morte eau et d'autre part elles font des voyages d'hiver au sel et aux pommes de terre. Dahouët est reine de la patate. Un certain nombre de voiliers des ports voisins venaient aussi y charger.

 

En 1905 dans les Côtes du Nord les exportations de pommes de terre sont suivant Jean Le Bot :

 

Dahouët         5481 t                          Binic               356 t

Le Légué        5468 t                         Erquy              149 t

Tréguier          5282 t                         Portrieux         142 t

Paimpol          2092 t                         Lannion           118 t

Perros            1623 t

 

Une rivalité viticole avec la France verra fermer les frontières du Portugal et l'on ne revit plus les files de charrettes sur les quais attendant leur tour et les trieuses de patates au travail sur les "dalles" (1932).

L'importation de charbon gallois et de bois du Nord, déchargement de sabliers, restera l'activité commerciale du port jusque vers 1960 où deux négociants de Lamballe, Francis Briend et Paul Morin développèrent l'exportation de produits du sol mais leur mort précoce signa la fin des cargos, menacés comme partout ailleurs par le développement des transports ferroviaires et routiers.

 

Eté 1966 : Arrivée du ZEESTER (L 58m, TPL 850 T,  Kampen Hollande) - Coll. Loïc Gautier

Eté 1966 : Arrivée du ZEESTER (L 58m, TPL 850 T, Kampen Hollande) - Coll. Loïc Gautier

La flottille de pêche côtière, peu riche par rapport à Erquy en petits ligneurs, et tournée avant tout vers la drague des huitres effectuée par 6 à 8 flambarts, fut malmenée par la destruction des bancs naturels, mise sur le compte des déprédations nocturnes des 'Anglais' de Jersey et des Cancalais. Contrairement à Erquy aucune bisquine cancalaise n'osait s'aventurer à Dahouët, elles restaient sous Verdelet ou le père Barbedienne leur lâchait quelques fois en passant en canot, une décharge de chevrotines pour éclater leur misaine.

 

Malgré l'apparition de la pêche à la coquille Saint-Jacques qui remonta les effectifs, le port de Dahouët, limité par la concurrence de la Grande Pêche bientôt disparue après 1914, n'a pas développé une flottille de pécheurs côtiers comme Erquy qui devait embarquer ses morutiers pour Islande à Dahouët et ses "banquiers" à Saint-Malo. Aussi Erquy a continué et développé ses maquereautiers en doris et en petits sloups pour en faire une flottille de pêche côtière imposante, bientôt rejointe à la suite de l'extension du port par une flottille de chalutiers côtiers puis les hauturiers de Jean Porcher qui se trouvaient à l'étroit à Dahouët.

 

 

Le pittoresque Dahouët est resté le paradis bien abrité pour les plaisanciers où l'on se dispute autant les places à échouage du vieux port que celles plus confortables du bassin à flot des Salines ouvert en 1989.

 

J.G.

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