23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 10:58

 

On  reconnaissait le pont des goélettes bretonnes à la présence de deux canots emboîtés et en arrière du grand mât, de la cuisine 'canfouine' ou 'cabane à feu', petite construction basse boulonnée au pont.

 

Ce système étonnait fort les Nordistes qui faisaient leur fricot en bas sur le poêle du poste, car ils manquaient d'espace sur le pont à cause de leur trafic de barriques. Encore en 1929 les Gravelinois ( Debus 'Métier d'Islande') s'amu­sent de la transformation que les Bretons ont fait subir au dundee Manon La nourriture tient une grande place dans leur vie à bord. Si vous n'en étiez pas convain­cu, il vous suffirait de voir la baraque basse, per­cée d'un tuyau de poêle , qu'ils ont fait ajouter sur le pont à l'arrière de leur bateau, c'est une cuisine !

Il n'entrait pas dans leurs habitudes de faire la soupe en bas, au poste de l'équipage.

 

La pratique de la cuisine sur le pont remonte au moins au temps de la pêche à la côte de Terre Neuve, quand elle n'était pas pratiquée dans les établissements à terre. Elle faisait que le poêle du poste d'équipage des Bretons en Islande était plus petit que celui des Dunkerquois et souvent d'ailleurs n'était pas allumé. En cas de mauvais temps le système compromettait la préparation des aliments et il est probable que l'on recourait quand même alors au poêle du poste comme pour la confec­tion des plats personnels.

 

Roof cuisine600

Le cuisinier devant sa cuisine

 

Il arrivait quelques fois qu'un coup de mer emporte la cabane et même le cuisinier avec :

Cette année là le cuisinier a été débarqué dans ce coup là. Il n'y avait plus de cuisinier. Il était parti à la mer avec sa cuisine. Y en a qui ont dit qu'ils l'avaient vu tendre les bras, mais avec sa cuisinière, les fourneaux et tout ça …

Tud ha bro 1979 La pêche à la morue

 

Un cas plus extraordinaire est celui de la Glaneuse de Dahouët en 1895 car le cuisinier a été récupéré et la cuisine retapée.

Inspection des navires 1895 Glaneuse - Traversée moyenne - coup de vent le 22 mars­, cuisine brisée, cuisinier jeté à la mer puis sauvé …

 

C'est probablement de cette goélette 'de Paimpol' que parle Dalibart :

Un mousse de Paimpol est resté ainsi pendant trois heures enfermé dans sa cuisine arrachée du pont et ballotté par les flots, un homme monté sur un canot a réussi à le sauver ; la soupe s'était naturellement renversée et ne l'avait même pas touché alors qu'elle aurait pu le brûler vif.

Il est quand même probable que le mous­se n'a pu rester trois heures en mer dans sa cui­sine car elle aurait coulé bien avant, n'étant pas insubmersible !

 

mousse-cuisine300Avec ensemble, les officiers de la Station présentent les mousses des goélettes islandaises comme les cuisiniers du bord et on raille les compétences du marmiton et plaint ses clients. Comme il n'avait pas à pratiquer la pêche, la mission de surveiller la soupe devait échoir à ce gamin et par suite de l'occupation de ses aînés lors des coups de souque il se retrouvait souvent seul devant le fourneau, mais il n'était en princi­pe qu'homme de plat, c'est-à-dire chargé d'a­cheminer les repas de chaque 'section' ( bordée). Théoriquement il avait comme patron soit un homme d'équipage volontaire et rétribué ou désigné à tour de rôle, soit le saleur qui était non pêcheur en principe et donc avait du temps disponible. On dit que le mousse qui avait pour mission d’alimenter le poêle en charbon portait quelques fois la marque de ce travail !

 

 

La préoccupation des officiers visiteurs afin d'a­méliorer l'ordinaire et diminuer la tentation de l'alcool et l'accumulation de provisions personnelles dans les cabanes sera d'imposer un cuisinier professionnel non participant à la pêche, ce qui ne plaisait pas trop à l'équipage ayant a supporter un salaire sur la part de tous.

Pour faire à manger, presque toujours un homme de l'équipage se présente de bonne volonté, et alors on a l'habitude de lui donner sept mètres de toiles rondelettes, pour faire une culotte et une vareuse ( sorte de blouse ) et aussi chaque matin une ration d'eau de vie, qui est ordinairement d'un vingtième de litre. Cet homme prend alors le nom de coq. Si personne ne se présente, le capitaine désigne deux hommes par semaine pour faire à manger et, chaque semaine, on les remplace par deux autres ; alors point de culotte ni de vareuse.

Désury French Shore de Terre Neuve 1854

 

On retrouve trace de ces habitudes de bonne heure dans les rôles de quelques équipages d'Islande. Sur le Gustave Elise du Portrieux par exemple en 1863 il y a un cuisinier à temps complet Heurtel Yves payé à 200 francs 'au voyage'. Le capitaine Videment est en même temps armateur du navire. Dans la comptabilité de Jacques Léveque capitaine de l'Indépendant de Dahouët on relève des sommes de 2 francs pour rétribuer par jour un nommé Croslais comme' homme de journée' c'est-à-dire chargé de la cuisine et de la propreté.

 

Le décret de décembre 1908 fixait l'obligation d'avoir un cuisinier à temps complet, à charge d'y ajouter le nettoyage des locaux.

La préparation des aliments est confiée à un homme de l'équipage âgé de plus de 18 ans et sachant faire la cuisine. Cet homme assurera également la propreté des logements, couchettes, vêtements etc. Cet homme est désigné au rôle d'équipage

 

Les prescriptions de l'administration n'étaient pas très suivies et souvent le mousse se retrouvait encore seul à faire le 'keusteurenn' (rata). C'est ce qu'il apparaît du rapport du docteur Fichet en 1912 :

La préparation des aliments reste confiée aux soins d'un mousse dont le talent n'égale mal-

heureusement pas la bonne volonté et qui met a entretenir sa cuisine et ses ustensiles autant de négligence que les marins à entretenir leur poste.

Je sais bien qu'officiellement c'est le saleur qui est embarqué comme cuisinier , mais s'il aide parfois le mousse à son travail, il ne s'ensuit pas moins que le plus souvent c'est à un gamin qu'est confiée la préparation des aliments et il arrive parfois qu'il manifeste son entêtement et sa mauvaise humeur par une négligence dont tous pâtissent.

 

Il semble qu'après la guerre 14-18 l'administration ait eu gain de cause car on retrouve partout des cuisiniers au moins chez les Bretons.

 

A en croire le coq du Manon, un gars de Plouézec, ils y font de la 'vraie cuisine' au beurre, du beurre fort salé qu'ils embarquent en même temps qu'une cargaison de lard, et ils y cuisent du pain.

Nous voila loin du pecheur d'Islande que Loti connut à Porz Even ou à Ploubazlanec ! Mais enfin c'est l'affaire aux Bretons

Debus Métier d'Islande

 

Il reste que tardivement en plus du rata commun, soupe de têtes de morue, soupe a la graisse de Normandie ou soupe au lard les hommes se faisaient entre plusieurs une cuisine supplémentaire à part. Ils utilisaient les provisions personnelles embarquées au départ ou amenées par le chasseur et les produits de la pêche et de la chasse-braconnage ou même du troc avec les gens du pays comme les eiders et leurs oeufs. Simpliste ou pas la tambouille des matelots avait très bonne réputation, notamment le canard eider au vin rouge, chez les gens d'Islande qui se faisaient un plaisir d'être invités.

 

Je suis allé voir les Français et j'ai baragouiné avec eux toute la journée. Ils m'ont donné à manger, je n'ai jamais aussi bien mangé, du porc avec des petits pois ; on ne mange pas comme ça tous les jours

Fransi biskui

 

Dans la pratique la casserole du paquetage servait souvent à la cuisson et à la consommation directe.

Il n'y avait pas d'assiette et on mangeait dans une casserole, ce n'était pas possible autrement d'ailleurs. La casserole n'était jamais lavée de la campagne, c'était très bien comme ça. On aurait torché avec quoi ? Avec du biscuit ? La casserole il restait ' eur woumenn' dessus. La table on ne la mettait jamais quand on était à casser la croûte, il n'y avait pas de place. La marmite était là sur le panneau du poste comme ça, la table c'était ça, une table rien n'aurait tenu dessus, tu mangeais dans la casserole comme ça avec une cuiller

Louis Kermarrec

 

La casserole n'était jamais lavée. On la retournait pour la vider par terre et on l'accrochait au plafond ou on la retrouvait pour le repas suivant… Le menu n'était ni long ni compliqué. Pour midi une soupe et un morceau de lard. Le soir, une soupe avec quelques morceaux de biscuit qui trempaient mal. Nous mangions dans notre casserole posée sur les genoux

 

En partant on s'associait deux à trois hommes, un de chaque bordée. On mettait toutes les provisions en commun, boisson comprise, et celui qui avait le quart du matin préparait le rata pour les autres pour le changement de quart de neuf heures. Les jours de bonne pêche un des associés descendait préparer l'apéritif, bitter ou pernod. Mais on ne restait pas longtemps à le déguster, le temps était trop précieux quand le poisson donnait. Le quart changeait et ce n'était pas toujours le même qui était de service. Le mousse préparait pour les hommes qui mangeaient derrière : le capitaine, le second, un lieutenant et deux ou trois bons pecheurs

Guillaume Parcou

 

En fait on retrouve quand même des assiettes dans les inventaires plus anciens et le mousse est quelques fois accusé de laisser partir des assiettes en les lavant à l'eau de mer.

Le mousse a jeté a la mer 2 assiettes valant chacune 1 franc par faute d'inattention ou par méchanceté

Livre de bord Charlemagne 1868 capitaine Taton Binic

 

Il fallait, à la suite de plusieurs cas d'intoxication qui se produisirent en 1868 sur des navires de Binic et étiquetés saturnisme ( intoxication par le plomb ) , présenter un certificat d'étamage pour la batterie de cuisine.

 

Pour les tables dont certaines étaient évidées pour maintenir la marmite ( c'est sans doute la l'origine de la fable si répandue des Bretons mangeant dans des trous de la table ) elles était souvent supprimées et pas seulement chez les morutiers

 

Quant aux autres navires les équipages, avec une unanimité touchante, ont déclaré que dès le premier jour, la table jugée trop encombrante avait été démontée, mise dans la cale dont elle n'était plus sortie. Ils ne se sont même pas donné la peine de la monter, comme les années précédentes pour la visite des officiers du Lavoisier

Dr Fichet 1909

 

De fait les postes sont si petits pour le nombre d'habitants qu'on ne peut vraiment

reprocher aux équipages de laisser en cale ce meuble encombrant qu'on leur délivre sous le nom de table. Chacun mange sur ses genoux et tous ceux qui ont un peu navigué avouent que par gros temps et fort roulis, aussi bien dans le carré des navires de guerre qu'a bord des goélettes de pêche c'est encore le seul moyen que l'on connaisse.

Dr Fichet 1912

 

Effectivement les cartes postales de l'époque nous montrent les matelots de la Royale mangeant sans table comme leurs camarades de la Grande Pêche.

 

 

Si dans l'ensemble les officiers visiteurs de la Station n'étaient pas enthousiastes pour la nourriture des pécheurs, surtout à cause de la monotonie, le 'keusteurenn' ne se limitait quand même pas à la bouillissure de têtes de morues avec des patates et au lard si apprécié des Bretons et en particulier, dit-on, des Binicais. La lecture des listes d'avitaillement et les observations des officiers visiteurs dans les rapports de campagne démontrent que les Bretons emmenaient des légumes frais, des choux en choucroute, des vivres dits spéciaux comme saucisses, andouilles, tripes en boîtes, sardines à l'huile, achetaient des vivres frais à l'escale. On peut supposer quand même que les boîtes de homard de Terre Neuve fréquemment rencontrées étaient probablement pour le bec de l'état major de la chambre arrière de la goélette.

 

Les officiers disent même rencontrer parfois des préparations qu'ils jugent appétissantes. Les anciens parlent de 'zog', de 'patarin', mais il est difficile d'en savoir la composition. Loeiz Kervarreg le dernier islandais de Paimpol, jugeait quand même qu'il était mieux nourri à bord que dans la Royale lors de son congé.

 

Hep laret gaou            Sans dire de mensonge !

 

 

J.G.

 

 

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