Etait-ce la misère qui contraignait les Bretons à s’embarquer pour l’Islande ?
On a du mal à le croire car les pêcheurs d’Islande étaient des spécialistes très recherchés et qui provenaient uniquement d’une zone littorale que l’on pouvait regarder comme favorisée.
Au dix-neuvième siècle on n'était plus dans les départements de la ci-devant Bretagne aux temps heureux décrits par Jehan Meschinot :
Riche païs, contrée très heureuse
Aimez de Dieu, ce voit on clairement
Duché sans pair, Bretaigne planctureuse
Déjà fortement installée dans les derniers siècles de l'ancienne royauté, la misère, la Chienne du Monde, Kiozenn ar Bed, n’avait pas reculé devant les bouleversements de la Révolution, alimentée par deux cents ans de blocus de la perfide Albion et l'écroulement de l'industrie textile artisanale et des forges au bois.
On mangeait ce qu'on pouvait
Oublié de Dieu et des divers gouvernements, le petit peuple de Bretagne en était arrivé à manger de la vache enragée.
Il ajouta qu'il l'écorcha et en donna une partie de la viande à Marguerite Le Roy, indigente habitant le village de Treunaff, mais que celle ci craignant de tomber malade n'en avait pas mangé.
Publicateur des Côtes du Nord 1860
La cherté excessive des grains a forcé les pauvres gens à manger tout ce qu'ils ont cru propre à tromper leur faim. La nourriture habituelle est la galette, le lait caillé, la bouillie de blé noir, mais s'ils en manquent ils mangent le marc de pommes et l'oseille sauvage.
Curé de Lannilis
Ils sont tellement démunis en ce début de chantier qu'il faut d'abord leur distribuer des bons de pain
Creusement du canal de Nantes à Brest
Le travail manquait
Le problème dans les terres était de trouver du travail pour tous ces « crève la faim », le Canal de Nantes à Brest bien sur, que refusaient de creuser les prisonniers espagnols, mais aussi le Canal de Suez que refusaient apparemment les Arabes :
Deux cents paysans bretons se sont rendus le 30 janvier à Saint Nazaire pour se diriger vers Suez où ils doivent être employés aux travaux de percement de l'isthme. Les ouvriers appartiennent aux populations des départements du Finistère et Morbihan. Un nouveau départ de travailleurs bretons aura lieu prochainement.
Publicateur des Côtes du Nord
L'émigration des Bretons liée à la misère a peut-être été moins spectaculaire que chez leurs cousins irlandais parce qu'il y avait nettement plus de solidarité entre les classes, la mendicité étant devenue une institution sociale tandis que les Irlandais n'avaient rien à espérer de leurs propriétaires anglais. L’émigration bretonne a cependant été très importante tant en France (Paris, Le Havre, Trélazé) qu'au Canada, Etats-Unis et Argentine.
On pouvait toujours tondre les femmes mais ça n’allait pas loin !
Les chevelures des Bretonnes étaient parmi les plus prisées à cause de leurs teintes (les blondes valaient plus cher que les rousses ou les noires) et de leur finesse, même si la mauvaise alimentation et le manque de soins ne leur permettaient guère d'être très abondantes. C'est le département des Côtes du Nord qui payait le plus lourd tribut à ces exploiteurs de misère.
Petits métiers bretons d'autrefois
La côte moins touchée
Il faut quand même dire que c'était là la situation à l'intérieur des terres et que sur les côtes, sauf par moments chez les sardiniers du Finistère Sud, il faisait meilleur à cause sans doute des revenus de la Grande Pêche :
Souscription en faveur des sardiniers bretons janvier 1903
Bretons, la population maritime d'Audierne, de Concarneau, Douarnenez se trouve dans la plus grande détresse, la misère est épouvantable, indescriptible, les pêcheurs manquent de tout, ils ont faim…des enfants sont tombés d'inanition en se rendant aux écoles.
C'est pour cela qu'on voyait défiler tant de mendiants sur les communes de la côte :
L'aisance répandue par l'entreprise d'Islande au milieu des Paimpolais attire vers la cité de nombreux nécessiteux
Les femmes qui tendaient la main dans les rues de Paimpol n'étaient pas des veuves d'Islandais mais des pauvresses de l'intérieur car à Rostrenen par exemple en 1836 sur 1200 habitants il y avait 600 indigents et 100 mendiants de profession. On comprend le nombre de ces chercheurs de pain qui s'abattaient sur les communes côtières.
Journal de Lamballe - Pléneuf 7-08-1892 Les mendiants
Est-ce la saison des bains qui nous amène tant de mendigots ? Malgré la chasse que leur fait notre vaillante brigade de gendarmerie, on a compté jeudi dernier 180 vagabonds de passage à Pléneuf. Jamais on n'avait encore vu pareille invasion. Gare les légumes, lapins et poules.
Qui nourrira tout ça?
Sur la côte ce n'était donc pas la misère qui obligeait les Bretons à embarquer pour Islande ou Terre Neuve mais l'attirance de bons salaires en année normale, la montée dans l'échelle sociale par rapport aux tâcherons agricoles ou artisanaux. Mais même chez les non navigants du littoral le niveau de vie était nettement supérieur à celui des gens de l’Intérieur dont on vient de voir la misère fréquente. Cependant à cause des aléas tant de la productivité que des prix de vente de la morue le métier de grande pêche était bien souvent couplé à une autre activité accessoire, tant chez les armateurs que chez les pêcheurs.
La misère en Basse Bretagne au 19 ème siècle
Quelques brêves du Publicateur des Côtes du Nord ...
20 mai 1865
Plélo - Françoise P femme B filandière au Clos Gougeon . Il paraît que la nuit pendant que celle-ci allaitait son enfant la tête de son lit soutenue par des branchages s’est défoncée. La tête et le corps ont été entrainés ainsi que l’enfant. La couette de balle les ayant recouverts les a asphyxiés
29 juillet 1865
De Pénerf - La situation de nos paludiers est comme dans tout l’Ouest vraiment déplorable. Nous avons vu faire ces jours derniers un chargement de sel de première qualité à raison de 20 fr le muid ou 5 millièmes le kilog.
Quand on songe que bien des paludiers n’ont pas plus d’un muid de sel pour leur part de récolte, il est facile de comprendre à quel degré de misère cette nombreuse et intéressante classe de travailleurs est réduite.
1872
A Etables au lieu de la Cour le lundi 2, la nommé Marie C. veuve G. apercevant vers 8 heures du soir que son habitation tombait en morceaux, en retira ses trois enfants en bas âge et les transporta chez ses voisins ainsi que quelques uns de ses meilleurs meubles. Dans la nuit la maison s’écroula en entier (Il y a eu trois écroulements de maisons en terre en quinze jours à Etable et un à Binic)
Publicateur 18 oct 1891
Erquy - Mardi vers les quatre heures du soir un vieux mendiant se présentait chez M. R à Langourian demandant l’hospitalité. Comme il n’y avait pas d’autre logement que le fournil, il accepta quand même. Le pauvre vieux ruisselait de pluie. Il alla donc se coucher mais il voulu s’étendre dans le four où l’on venait à peine de retirer le pain.
Le lendemain quand on alla voir, on le trouva mort, la tête au fond du four. Il était littéralement cuit.
J.G.