1 décembre 2015 2 01 /12 /décembre /2015 09:00

 

La provenance et la qualité de l'alimentation des pêcheurs islandais bretons

 

A en croire nombre de bons apôtres les pêcheurs islandais auraient été réduits au menu journalier de 'têtes de morues' et patates, quelque fois de lard, tout gras bien sûr. Sur ce sujet de l'alimentation on peut voir d'une façon évidente dans les rapports des médecins de la Station la légèreté ou la mauvaise foi de ces commentateurs. En effet c'est bien là que l'on peut démonter le mieux le procédé qui consiste à faire porter par tous les problèmes de quelques uns. D'autre part, n'en déplaise aux amateurs de poisson carré et panné congelé, c'est dans la tête de morue que se trouve le jottereau ou joue, le morceau le plus apprécié des connaisseurs, quoique le plus difficile à commercialiser. On mangeait quand même autre chose sur les goélettes bretonnes :

Commissaire Moreau Paimpol 1900 : « Une ration quotidienne et invariable de têtes de morues ou faux poissons, graisse et sucre, peut fournir la quantité d'éléments chimiques nécessaires à la restitution des dépenses de l'organisme, mais nos marins de grande pêche sont habitués à un régime plus substantiel et plus varié »

 

 

Niveau de l'alimentation

 

A écouter les débineurs systématiques on aurait une piètre idée du niveau alimentaire de nos pêcheurs.

 

Th Janvrais (Revue Universelle 1901) semble croire que seul l'armement breton Giquel était bien pourvu en vivres mais le stationnaire Pivet qui prend cet armement en exemple, comme son ami le commissaire Moreau admet la généralisation aux Bretons.

 

Dr Chastang 1898 : « Quand aux vivres ils seraient trop uniformes pour l'estomac de bien des Français mais ils sont suffisants pour les hommes des Côtes du Nord » 

Bien sûr, bien sûr ! 

 

Mael en 1903 est encore plus engagé dans l'outrance : « l'embarquement à bord de pain ou de biscuits avariés où grouillent les vers, des pommes de terre germées dès le départ ou d'alcool de grain allemand payé trente centimes le litre… » 

 

Il faut dire que ces appréciations sont contemporaines de la grande croisade anti alcoolique et que l'on veut expliquer le recours à l'alcool (frelaté bien sûr !) pour pallier aux rations alimentaires insuffisantes.

 

Le son de cloche est cependant différent avec des témoignages plus crédibles :

 

Commissaire de la Marine de Paimpol Moreau 1900 : « Il m'a paru en effet que l'avis du Conseil Supérieur de Santé émis d'après l'ensemble des conditions alimentaires et sanitaires des grandes pêches, serait de nature à fournir sur plusieurs points importants des motifs ou du moins des prétextes de recul de la situation acquise en ce qui concerne l'armement paimpolais. »

 

Commissaire de la Marine des Côtes du Nord  1897 : « Pendant les trois ans que j'ai dirigé le quartier de Saint Brieuc, aucune plainte ne m'est parvenue au sujet des vivres. Les équipages d'Islande entre autres n'ont jamais fait entendre de réclamation à cet égard »

 

Docteur Guimezanes :

« avec mes prédécesseurs je demande donc qu'aucun bâtiment ne quitte les ports du Nord sans son approvisionnement complet ainsi que cela se pratique en Bretagne »

 

Par rapport à l'alimentation des ruraux de la Bretagne intérieure il est vrai que faire mieux n'était pas trop difficile en ce siècle de misère rurale, mais nos marins étaient certainement bien mieux lotis !

 

Monseigneur Kerlévéo : « ils se croient encore en Islande ! »

Kermarrec interview : « c'était mieux que dans la Marine pendant mon congé. Je pensais souvent à la nourriture que j'avais en Islande »

 

 

Par rapport aux collègues de Dunkerque :

 

Commandant stationnaire Pivet  1900 : « Autant la nourriture des Bretons fournie par l'armement est en général substantielle et variée autant celle des Dunkerquois est monotone et peu soignée. »

 

Docteur Fichet 1909 :

« bretons ....D'une façon générale l'alimentation est satisfaisante. D'année en année on constate de nouveaux efforts auxquels il faut rendre justice,

dunkerquois ….l'alimentation est toujours insuffisante. Les armateurs n'ont fait aucun effort pour se conformer aux décrets »

 

Docteur Guimezanes  1914 : « Nous n'avons eu à enregistrer aucune réclamation au sujet de la nourriture, au cours de notre visite à bord des goélettes bretonnes ….. pêcheurs du Nord  au point de vue vivres la situation est déplorable »

 

 

Contrôle des vivres

 

Avant le départ les capitaines devaient présenter un manifeste d'avitaillement à la Douane avec nomenclature et quantités des vivres embarqués, comme les navires chasseurs venant amener un complément à l'escale de mi campagne

 

 

Provenance des vivres

 

On doit se souvenir que le milieu des islandais bretons est rural littoral et que l'armateur est souvent un négociant en produits du sol, vins et spiritueux

 

Provenance locale

 

Habasque : « Le lard est le met principal, le régal par excellence de nos campagnes ; aussi s'y commet-il peu de vols sans que les voleurs n'emportent du lard. Ils en sont friands et ce sont des pièces à conviction qui les ont plus d'une fois fait saisir et condamner »

                      

Le porc arrive sur pieds, quelque fois même élevé dans les 'retraites' de l'armateur, en tous cas à proximité, et est sacrifié et préparé sur place par une équipe artisanale. On comprend ainsi à coté de lard demi gras, l'existence de saindoux, andouilles, saucisses, inconnus dans l'avitaillement de ceux qui se fournissent en barriques de lard américain et qui sont obligés de faire leurs fritures avec de l'huile de foie de morue avant l'apparition de la margarine.

 

Les pommes de terre sont de deux catégories, les patates de qualité mais de conservation courte utilisées à Paimpol ou les patates plus médiocres en goût mais de conservation meilleure en vrac de Dahouët. En principe les Paimpolais qui refusent de garder les pommes de terre en barriques où elles se conserveraient mieux se font livrer un deuxième envoi par les chasseurs lors de l'escale de mi campagne.

 

Le biscuit n'est pas le biscuit industriel petit et carré des Malouins, Normands et Nordistes mais un biscuit plus grand et rond très différent, cuit chez les boulangers du pays à qui l'armateur fournit la farine.

Le beurre est aussi un produit local acheté sur le pays. Nos 'mangeoux d'beurre' n'ont pas fait un bon accueil à la margarine même pour la cuisine quand elle est apparue vers 1904. Il est vrai qu'elle était souvent de piètre qualité. Elle a gagné un peu dans la suite pour faire la cuisine à la place du saindoux.

Les choux 'endaubés' salés et vinaigrés en une espèce de choucroute sont aussi préparés sur place par le personnel de l'armement.

           

Il serait intéressant de pouvoir vérifier si les quelques armateurs délocalisés, domiciliés dans des grandes villes et menant un métier coupé du monde rural gardaient cette même provenance d'avitaillement par un capitaine d'armement ou avaient recours comme à Saint Malo à des fournitures industrielles

 

Dr Guimezanes 1914 : « A bord d'un bateau de Fécamp armé par un équipage breton, approvisionné comme dans le Nord, nous avons été saisis d'une réclamation à propos du lard embarqué. Nous avons vu dix barils dont six étaient de la campagne précédente et étaient composés de viande absolument immangeable. Quatre autres barils de fourniture récente et de fraîcheur convenable refermaient en grande partie des oreilles et des pieds dissimulés sous une couche de bons morceaux à chaque extrémité….La viande de conserve de provenance américaine était également mauvaise à bord d'un dundee de Dunkerque »

                                  

Provenance régionale

 

Ce sont en général les produits dits 'spéciaux', conserves de tripes, sardines, thon, maquereaux, auxquelles on peut joindre les boîtes de petits pois et julienne. La 'graisse de Normandie' ('graisse salée' des Bretons) provenait de la région de Granville.

 

Provenance extérieure

 

L'endaubage (bœuf en conserve, c'est le 'singe' des biffins) provenait de Madagascar ou d'Uruguay et était assez apprécié quoique moins que le lard, par contre les fayots réclamés par les officiers de la Station l'étaient beaucoup moins. Etait-ce par mauvais souvenir des abus subis à l'armée ou par le long temps de trempage nécessaire à la préparation, il en était souvent ramené une bonne partie de la provision.

 

Les épiceries

 

Une partie du sucre, du café, le thé, l'huile et le vinaigre était fournie dans la ration par le bord et l'autre comme le poivre, une partie du sucre et du café mise au compte du preneur.

 

Vivres de malades

 

L'administration imposait l'embarquement de boîtes de lait condensé, de Liebig et d'œufs. Les œufs étaient souvent distribués à tous ceux qui en demandaient pour ne pas les perdre quitte à en racheter à l'escale.

 

Vivres de chambre

           

On désignait ainsi les victuailles destinées à l'état major logé derrière. Devaient en faire partie les boîtes de homard 'confis' en provenance des pêcheries françaises de la côte de Terre Neuve et les trois bouteilles de champagne de plusieurs listes d'avitaillement. Les bouteilles de Cognac et de liqueurs sans doute aussi mais un certain nombre devait être une monnaie de troc à l'escale (voir comptabilité Johanesson de Patrixfiord).

 

Achats en Islande

 

En raison du petit nombre de 'kaupmann'  (commerçants danois) on peut suivre les achats à l'escale Ouest favorite des Binicats et des Dahouëtins,  Patrixfiord en particulier dans la comptabilité de Monsieur Olivier Johanesson. Les factures sont réglées avec l'argent du bord, ou en nature avec des biscuits, des pommes de terre, du sel en excès à la fin de la campagne ou une traite sur l'armateur qui est en relations suivies avec le kaupmann..

Les achats sont de la viande fraîche, un demi bœuf, le surplus est mis à saler, de la farine pour faire faire du pain chez le boulanger local mais aussi des petites douceurs comme du chocolat (comptabilité Paulette) des timbres et cartes postales.

 

La fraîchure 

 

Au départ les navires embarquent des produits frais qui seront consommés pendant le voyage d'aller. Du pain, de la viande fraîche, des légumes verts, carottes, oignons, choux. C'est une impossibilité de cuire du pain à bord des goélettes à cause de l'exiguïté de la cuisine ; Anglais et Américains qui prétendent le faire ne font pas en quantité et surtout en qualité un pain digne de ce nom.

 

La fraque

 

Comme tous les navires de commerce les islandais comptaient sur la débrouillardise pour améliorer l'ordinaire, dans tous les inventaires de navires en douane on constate la présence d'un fusil de chasse. Laquelle chasse était réglementée en Islande et en principe le tir des canards eiders interdit. Mais il était toujours possible d'assommer les femelles trop confiantes sur les nids et de récupérer les œufs ou si on ne voulait pas s'exposer à la vindicte d'un propriétaire armé, d'utiliser les services d'un braconnier local payable en biscuits. La maraude autour des fermes était peu employée à part les kidnappings de moutons errants en liberté non surveillée, révélés par les plaintes et demandes de dédommagement adressées au consul, les dénégations des coupables qui accusaient souvent les marins de la perfide Albion du méfait.

 

Evidemment les produits de la pêche avec les captures de valeur marchande moindre que la morue étaient fréquemment sollicités de même que les fameux jottereaux, les 'têtes' de morue qui sont, respect de vous, les meilleurs morceaux du poisson tout en étant peu commercialisables.

Dans leurs moments perdus (il y en avait quand même !) certains préparaient et mettaient dans le sel d'un barriquot les jottereaux ou 'chotennou' comme provisions d'équipage à ramener au pays. Par contre on ne touchait pas aux langues qui étaient des témoins de la quantité pêchée et propriété du bord. Pour les Bretons très portés aux descentes à terre la cueillette des coquillages, des moules de Reykjawik surtout, était très prisée tandis que la vue des dégustations des bestioles crues mises à descendre avec un coup de 'gwin ruz' horrifiait les spectateurs indigènes. Les moules étaient ainsi probablement la cause des cas de fièvre typhoïde assez fréquents chez les Bretons et par contre rares chez les Dunkerquois. Les enfants du pays pêchaient des crevettes pour les troquer contre des biscuits ou braconnaient les eiders et leurs œufs.

           

Le résultat n'était peu être pas si mauvais comme l'affirmait Louis Kermarrec : « Evit pezh a zell deus an traou da zebrin, n'hellan ket larout gaou, mattre oa. Gwelloc'h bevans am eus kavet en Island evit n'am eus bet e pad ma c'honje. Graet am eus ma c'honje 'pad daou vloaz hanter ha kampagn Chin ha Japon m'hel lar dit. Sonj am boa lies eus pezh a zebren ba'n Island, hep kaout abeg deus ar Royale, han !  (Pour ce qui est de la nourriture, je ne peux pas mentir, c'était très bien. J'ai été mieux nourri en Islande que j'ai été pendant mon service militaire. J'ai fait mon service pendant deux ans et demi en campagne de Chine et du Japon que je te dis. Je pensai souvent à la nourriture que j'avais en Islande, sans critiquer la Royale pourtant !) »

 

Le docteur Guimezanes en tous cas en 1914 n'était pas du tout pessimiste : « La préparation des aliments est généralement confiée aux mousses mais j'ai cru remarquer que, sous prétexte d'aide c'est un homme du pont qui se charge de ce soin. Les aliments ne doivent pas être des chefs d'œuvre de préparation, mais nous avons vu quelques plats de poisson d'aspect appétissant. Les équipages sont d'ailleurs satisfaits »

 

Les mousses n’étaient pas quoique on ait dit cuisiniers mais marmitons, car disposant de plus de temps libre que les hommes ils entretenaient le feu et surveillaient la cuisson.

 

De fait, du temps de la campagne de Louis Kermarrec sur le Goëlo en 1929, les Nordistes considéraient les islandais bretons comme des épicuriens :

 

« Les Paimpolais, il faut bien le dire, sont souvent difficiles. Les Gravelinois pêchent tant qu'il y a du poisson. Ils mangent après. Les Paimpolais aiment leurs aises et leurs quatre ou cinq repas par jour. La nourriture tient une grande place dans leur vie à bord. Si vous n'en étiez pas convaincu, il vous suffirait de voir la baraque basse, percée d'un tuyau de poêle qu'ils ont fait ajouter sur le pont à l'arrière de leur bateau. C'est une cuisine ! Il n'entre pas dans leurs habitudes de faire la soupe en bas, au poste de l'équipage.

A en croire le coq du Manon, un gars de Plouézec, ils y font de la ''vraie cuisine'' au beurre, du beurre fort salé qu'ils embarquent en même temps qu'une cargaison de lard, et ils y cuisent du pain.

Nous voilà loin du pêcheur d'Islande que Loti connut à Pors Even ou à Ploubazlanec ! Enfin c'est affaire aux Bretons.

Ils vous expliqueront toutefois que si la Manon totalise pour ses deux pêches successives quatre vingt treize mille morues, le record de l'année, c'est ''parce qu'ils ont pris le temps de bien manger'' C'est plutôt question de hasard. Les bancs de poisson se soucient peu du régime du bord ! Ca mord plus ou moins et, pour en prendre, il faut que ça morde. »

Debus (Métier d'Islande  les trimardeurs de la mer 1929).

 

J.G.

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