1 mai 2015 5 01 /05 /mai /2015 08:00

 

Les dahouetins ont de tous temps pratiqué le cabotage. Ils fréquentaient souvent la mer d’Iroise et l’on peut raisonnablement penser qu’en croisant Douarnenez, les vieilles légendes de la ville d’Is remontaient à l’esprit de ces hardis navigateurs qui, instinctivement, tendaient l’oreille au tintement des cloches de la cité engloutie.

 

 

Keris en Bretagne armoricaine

 

Tout le monde connaît la Ville d'Is de nos légendes bretonnes qui est la traduction populaire du nom Keris par Ker (ville) et Is (en bas). On explique sa localisation supposée en baie de Douarnenez par son association avec le roi Grallon de Quimper si populaire et le nom de la mer d'Iroise soit Kanol Is en Breton, interprété Chenal d'Is.

 

Mais Kanol Is s'explique mieux comme étant la partie inférieure (is) du Kanol Breizh, le chenal de la Brittia que les Anglais ont transformé en English Channel. En dehors de la présence du toponyme, jamais vraiment localisé, on retrouve en Bretagne ce thème de l'inondation dans plusieurs légendes invoquant l'envahissement par la mer ou les eaux souterraines par l'action d'une bonde ou clef.

 

Plusieurs localisations sont associées avec le nom de la fontaine comme Kerfeunteun  ou Lanmeur Melar et Carfantin en Dol. La fontaine incriminée dans le débordement de l'étang de Combourg, possession d'un Riwallon frère de Guiguené archevêque de Dol, porte le nom de Margate et comme le 'puits' de la Ville d'Is la catastrophe est déclenchable par l'intervention d'une femme, ici une vieille, une 'gwrac'h'. Dans la version courante Ville d'Is il y a hésitation sur le nom de la femme qui est appelée Dahut, Ahès ou Morgan, ce qui laisse à penser que ce personnage n'était pas précisé à l'origine.

 

 

Ceris au Pays de Galles

 

Mais il existe un Keris au Pays de Galles. On n'a sans doute pas prêté attention à Pwll Ceris ou Swellies, un tourbillon dans le détroit (afon) du Menai, bras de mer qui sépare l'île d'Anglesey (île Mon en gallois) du pays de Gwynedd.

 

La Ville d'Is des Bretons armoricains ou Keris

Carte des anciens royaumes du Pays de Galles avec détails sur les régions du Gwynedd. 1 - Anglesey 2 - Afflogion 3 - Royaume original 4 - Rhos 5 - Dunoding 6 - Meirionydd 7 - Rhufoniog 8 - Conquêtes en Mercie

Auteur : Francis McCarthy - Wikipédia

 

 

En dehors de son nom, le lieu n'est pas sans rappeler le Keris armoricain. Il est en effet situé près du site supposé de Llys Helig, capitale de Tyno Helig, royaume englouti par la mer dans la baie de Conwy par la faute de la cruelle Gwendud fille du roi Helig ap Glannawg, dont l'évocation est plus proche de celui de notre Ville d'Is qu'un autre récit gallois, celui de la submersion du royaume de Seithenin Meddw l'ivrogne.

 

Pwll Ceris est encore connu comme un tourbillon très dangereux pour la navigation dans la rivière de Menai à tout moment de la marée ; le fond est semé de pierres dangereuses. Il en est déjà question dans la description des merveilles de l'île de Bretagne par Nennius le Sage, écrite vers l'an 800 (Historia Brittonum) :

 

Les merveilles de Mona

La quatrième merveille consiste en une pierre qui déambule la nuit au dessus de la vallée de Cithein. On l'a jadis jetée dans le gouffre de Ceris (Cereus) situé au milieu de la mer appelée Menai et on l'a retrouvée le lendemain sur la rive de ladite vallée

 

Cette pierre n'est pas sans rappeler la clef de Dahut et la bonde de pierre blanche qui ferme l'irruption des eaux souterraines dans plusieurs légendes locales apparentées à celle de la ville d'Is, notamment celle du moulin de Brézal en Landiviziau et celle de la Fontaine de Margate où elle préserve l'étang de Combourg et ses environs de l'inondation voulue par une méchante gwrac'h ( Gw Le Scouézec)

 

L'étymologie peut reposer sur le gallois Cerwin bassin, proche du breton Kirin vase, bassin, cornique Keryn barrique ouverte que l'on fait correspondre à la glose, vieille bretonne Ceroen, tonneau qui proviendrait du latin Caroenarium tonneau de vin cuit. On pense ainsi à Kibell la baignoire, gouffre de la rivière d'argent à Huelgoat où Dahut était dite faire précipiter ses amants mais le rapprochement est encore plus facile avec l'islandais Ker baquet suivi régulièrement dans cette langue de l'article accolé –is.

 

 

Le lac de cratère de Kerid en Islande

 

On trouve en partie Ouest de l'Islande, la partie la plus marquée par l'influence celtique, en principe irlandaise, un lac de cratère dans le Grimsness appelé Kerid (prononcer Keris) auquel parait être attachée une histoire d'inondation. 

La Ville d'Is des Bretons armoricains ou Keris

Le lac de cratère de Kerid    (Credit : Diego Delso, Wikimedia Commons, License CC-BY-SA 4.0 )

 

Les Islandais n'ont aucune difficulté à interpréter ce nom par la 'cuvette', le 'gouffre'. Ne serait ce pas là la même origine que nos Ceris gallois et Keris armoricain ? La date de 800  de l'Historia Brittonum prouve que l'appellation Cereus est antérieure à la colonisation de l'Islande par les norrois On sait qu'après le reflux des vikings de la péninsule armoricaine les deux peuples bretons et scandinave se sont retrouvés vers 1100-1200 p.C. dans une communauté maritime sous l'égide de Bristol qui avait pris en compte le royaume norrois de Dublin. C'est de cette époque que doivent dater les nombreux termes nautiques norrois dans la langue bretonne et anglaise (les termes français correspondants, moins nombreux, peuvent être empruntés au breton).

 

Les scandinaves de Dublin fréquentaient notoirement l'île de Mon à laquelle ils ont donné le nom d'Anglesey et la côte du Norgalles ou Gwynedd. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils en aient ramené le terme de Keris, Cereus donné à un gouffre marin sensé avoir été à l'origine du recouvrement par la mer du domaine de Helig ap Glannauc et transmis le thème à leurs comparses bretons qui le relocalisèrent en Armorique. Il est assez caractéristique que d'après la légende la bonde de pierre qui protège l'étang de Combourg est placée dans la ''fontaine de Margate'' ce qui en bon islandais veut dire porte de la mer.

On doit souligner aussi la ressemblance avec le mot breton gallois ceridd châtiment (breton armoricain karez blâme, cornique kereth châtiment) qui est bien dans le contexte de Sodome et Gomorrhe dont est gratifiée la ville bretonne légendaire.

 

L'évocation de Keris  peut ainsi inviter à creuser les recherches sur les rapports des Celtes et spécialement les Bretons avec les Scandinaves, rapports qui semblent avoir persisté après le reflux des Vikings envahisseurs, expliquant pourquoi entre autres en breton le gouvernail d'étambot se dit stur (styra), l'étrave se dit staon (stafn) et le mouillage fes (fest) mot inconnus en français.

 

J.G.

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